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Fraude à la nationalité en Côte d’Ivoire : Un véritable réseau tentaculaire (Acte 3)

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Les principaux suspects ont été jetés à la Maca en prison...(Ph: Dr).
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Le vaste réseau de fraude à la nationalité démantelé par les enquêteurs de l’Ulgc (Unité de lutte contre la grande criminalité) avait des ramifications en Tunisie, en Turquie et dans de nombreux consulats ivoiriens. Révélations du confrère de JA.

Lorsque les autorités ivoiriennes reçoivent, début juin, un signalement de leurs homologues du Qatar, elles ne sont pas vraiment surprises.

Cela fait plusieurs années que l’Union européenne (Ue) et d’autres chancelleries les alertent sur l’existence d’une fraude d’envergure sur la nationalité. Elle expliquerait, en partie, le nombre important d’Ivoiriens figurant sur les routes de la migration vers l’Europe.

En septembre, ils étaient 14 000, selon le recensement de l’agence européenne Frontex – 12 500, selon l’Organisation internationale pour les migrations (Oim).

Mais en réalité, nombre d’entre eux possèdent un passeport ivoirien sans jamais avoir vécu en Côte d’Ivoire.

Plus récemment, des documents d’identité ivoiriens ont été retrouvés sur des jihadistes tués en Syrie. La première vague de vrais-faux passeports daterait de 2017.

Nigérians, Syriens, Libanais, Marocains…cités

L’enquête de l’Unité de lutte contre la grande criminalité (Ulgc) est relancée. Selon nos informations, près de 120 000 passeports pourraient être concernés, mais les enquêteurs se concentrent sur 30 000 documents. Après plusieurs semaines de recherche, 25 000 sont retrouvées.

Ils concernent 10 000 Nigérians, 8 000 Syriens, des Libanais et des personnes d’autres nationalités, dont des Marocains.

Les enquêteurs découvrent qu’Aboubacar Diakité, 38 ans, est en fait à la tête d’un réseau criminel d’envergure aux ramifications multiples.

La fraude était telle que l’organisation possédait des « antennes » à Istanbul, à Paris et à Tunis, mais aussi dans de nombreux consulats de Côte d’Ivoire.

Bénéficiant de complicités dans presque toutes les administrations de l’État, le cerveau avait réussi à mettre en place un système extrêmement bien huilé.

L'enquête a établi qu'Aboubacar Diakité était lié à un autre réseau, spécialisé dans l'extorsion. Aboubacar Diakite Sur son profil Facebook, l’homme dit travailler aux douanes.

Mais, à ses clients, il assure être un agent de la Direction de la surveillance du territoire (Dst).

Dans toute arnaque, l’apparence joue un rôle déterminant. Alors, Aboubacar Diakité ne lésine pas sur les moyens.

Grosses lunettes de soleil sur le nez, il roule dans un Land Cruiser V8 aux vitres teintées avec plaque diplomatique et macaron vert. Un petit calibre dans la boîte à gants.

De quoi mettre en confiance ses potentiels clients, dont le profil varie. Il y a ceux qui ne sont en aucun cas éligibles à la nationalité ivoirienne.

Et d’autres qui, vivant sur le territoire depuis une dizaine d’années, pourraient sans doute être naturalisés par la voie classique, mais ne diraient pas non à une procédure accélérée. Diakité les accompagne à toutes les étapes. Police, mairie, Dst… À chaque fois, l’homme est accueilli au garde-à-vous.

Au bout de deux ou trois mois, le demandeur reçoit des mains de Diakité un certificat de nationalité jaune. Coût de la procédure : autour de 2 millions de francs Cfa (environ 3 000 euros). Mais, en parcourant le certificat, il découvre qu’il n’a pas obtenu le sésame par naturalisation mais par mariage. Car pour réussir son coup, Diakité introduit dans le dossier un acte de mariage bidon. À ceux qui s’en inquiètent, il se veut rassurant et explique qu’il s’agit juste d’un mariage blanc avec une de ses cousines.

Il trouve même une parade pour ses clients de confession musulmane qui rechignent. Après quelques mois, il est possible de divorcer en payant entre 200 000 et 500 000 francs Cfa supplémentaires (entre 300 et 760 euros).

« Aboubacar avait tissé un réseau allant du ministère des Affaires étrangères à la Dst », explique une source proche de l’enquête. Devant l’ampleur de la fraude, les autorités ivoiriennes prennent très rapidement une première décision : le 15 juin, le gouvernement adopte en conseil des ministres un projet de loi pour suspendre l’acquisition immédiate de la nationalité ivoirienne par mariage.

Outre Aboubacar Diakité et Hussein Karim, au moins deux de leurs complices et plusieurs agents de la Dst sont également en détention. Mais, selon nos informations, le réseau est composé d’une dizaine de personnes.

« Des membres de la communauté libanaise ont profité de la combine. Quand Aboubacar touchait 2,5 millions de francs Cfa pour un passeport, les intermédiaires prenaient 1 million », raconte une source proche de l’enquête.

Un Syrien était, lui, chargé de faire venir à Abidjan les ressortissants de son pays souhaitant obtenir un passeport ivoirien pour travailler au Qatar. Dans ce cas de figure, le prix était tout autre, puisqu’il fallait débourser entre 10 000 et 15 000 dollars.

D’autres nationalités pourraient également être concernées. Le 3 février dernier, un dénommé Bob elNasrani postait un message des plus directs sur un groupe d’entraide d’Irakiens installés à Istanbul. « Une deuxième nationalité africaine pour quiconque le souhaite…dans un délai d’un mois. Viens dans le pays pour prendre tes empreintes digitales et recevoir le dossier de nationalité, d’identité et le passeport, accompagné des documents officiels légaux.

Paiement après réception et après avoir donné des garanties pour les deux partie », écrivait-il. Selon nos informations, l’auteur du message serait domicilié à Abidjan.

Extorsion et racket

L’enquête a également permis d’établir qu’Aboubacar Diakité était lié à un autre réseau, spécialisé cette fois dans l’extorsion. Selon des sources concordantes, plusieurs personnes détentrices de passeports frauduleusement acquis ont pu passer entre les gouttes, moyennant le paiement d’une certaine somme.

Ceux qui ont refusé ont terminé à la Maca.

« Lorsque j’étais en garde à vue dans les locaux de l’Ulgc, un gendarme m’a tendu un téléphone en me disant que quelqu’un voulait me parler. Un Libanais m’a dit en arabe qu’il pouvait me faire sortir contre 2,5 millions de francs Cfa », nous confie un homme incarcéré dans le cadre de l’affaire.

La pratique se révèle largement répandue et organisée. L’un de ses instigateurs serait un « indic » du ministère de la Justice et du Pôle économique et financier qui profitait de sa position pour rançonner les potentielles cibles.

L’homme, un certain Cheikh Berte, va néanmoins avoir le malheur de s’attaquer à un trop gros poisson, un homme d’affaires burkinabè impliqué dans l’orpaillage à Bouaké auquel il est réclamé entre 400 et 500 millions de francs Cfa.

La victime connaît du monde et l’affaire atterrit sur le bureau du ministre de la Défense et frère cadet du chef de l’État, Téné Birahima Ouattara. Le domicile de Cheikh Berte est perquisitionné. On y retrouve d’importantes sommes d’argent en liquide et des armes. Mais l’intéressé, lui, s’est volatilisé. Des éléments de l’Ulgc sont néanmoins arrêtés.

 

À ce jour, une vingtaine de détenteurs de passeports ont été interpellés, principalement des membres de la communauté libanaise. Certains connaissaient directement Aboubacar Diakité. D’autres l’ont rencontré via des intermédiaires.

Cinq personnes sont d’abord arrêtées le 4 juillet. Dans la matinée, cinq voitures aux vitres teintées débarquent dans un garage de Marcory, une commune d’Abidjan. Son propriétaire s’occupait des voitures d’Aboubacar Diakité, qui lui a proposé ses services pour rembourser une importante dette. Délivré le 12 décembre 2021, le passeport n’a jamais servi.

Ce n’est pas le cas de celui d’Amar (son nom a été modifié), à qui Aboubacar Diakité a été présenté par un ami comme un agent de la Dst, et qui s’est rendu avec le sésame à Dubaï. D’autres arrestations auront lieu le 17 juillet, parallèlement à celle d’Abbas Badreddine. Auditionné le 28 juillet par le Pôle économique, l’homme d’affaires a expliqué avoir rencontré Aboubacar Diakité à une seule reprise.

En 2019, Mohamad, un de ses petits frères vivant à Lomé, apprend que plusieurs membres de la communauté libanaise de la ville ont obtenu des passeports ivoiriens. On lui parle d’un certain « Abou ».

Mohamad marque son intérêt et en parle à son père, Hani. Les deux hommes font part de leur projet à Abbas, qui organise une rencontre dans les locaux de l’usine Plastica à Abidjan.

Aux enquêteurs, l’homme d’affaires raconte avoir demandé à Aboubacar Diakité de lui expliquer par quel procédé il comptait obtenir les passeports : « J’ai compris que le passeport était vrai mais que le dossier était bidon. Alors, je lui ai demandé de m’expliquer à nouveau et lui ai dit que j’allais le filmer. Aboubacar l’a mal pris. Il s’est énervé et a quitté la pièce. C’est la dernière fois que j’ai eu affaire à lui ».

Le père et le frère d’Abbas Badreddine bénéficieront tout de même d’un passeport obtenu grâce à Aboubacar Diakité. À l’insu de l’homme d’affaires ? C’est ce qu’a assuré ce dernier devant les magistrats du Pôle économique. Ses proches dénoncent, eux, une cabale orchestrée par des concurrents.

« Cette affaire intervient étrangement au moment où Plastica répondait à plusieurs appels d’offres importants. Après la dénonciation dont l’entreprise a été victime, ça fait beaucoup », assène un de ses collaborateurs.

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Selon nos sources, les avocats d’Abbas Badreddine ont vu leur demande de liberté provisoire, déposée le 3 octobre, immédiatement rejetée.

 

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