Société

Fraude sur la nationalité en Côte d’Ivoire : Un homme d’affaires, le vrai cerveau et les faux passeports (Acte 2)

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L'acquisition frauduleuse du passeport fait jaser actuellement . (Ph: Dr).
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L’interpellation, courant mars, de plusieurs hommes d’affaires d’origine libanaise en possession de fausses plaques diplomatiques a permis aux enquêteurs de remonter jusqu’aux deux cerveaux présumés de la combine : Aboubacar Diakité et Hussein Karim. Mais aussi de découvrir l’existence d’autres trafics bien plus importants.

Le 14 juillet dernier, la représentation française en Côte d’Ivoire célèbre la fête nationale en organisant, comme de coutume, une grande réception dans l’enceinte de la résidence de son ambassadeur, à Abidjan. Le cadre est idyllique d’après Jeune Afrique (JA).

La résidence est nichée au cœur d’un immense parc luxuriant dans le quartier de Cocody-Ambassades.

Depuis la terrasse, on peut admirer la lagune Ebrié et le pont Henri-Konan-Bédié. Derrière l’enceinte de hauts murs sécurisés, la fête bat son plein jusqu’au petit matin. C’est l’une des soirées à ne pas manquer.

Les invités sont triés sur le volet. En plus de 3 000 ressortissants français, entre 200 et 300 Vip reçoivent le précieux carton d’invitation. Ils sont conviés à 18 heures, soit deux heures avant le commun des mortels.

Leurs voitures s’arrêtent en bas d’un bel escalier en marbre où ils sont chaleureusement accueillis par le maître des lieux, l’ambassadeur de France.

Cette année, contrairement aux précédentes, Alassane Ouattara n’y a pas répondu favorablement. Le chef de l’État est représenté par son épouse, Dominique, son vice-président, Tiémoko Meyliet Koné, son Premier ministre, Patrick Achi, le président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, et certains membres du gouvernement.

Ils écoutent avec satisfaction le discours soigné de l’ambassadeur, Jean-Christophe Belliard, louant « ce havre de paix » qu’est à ses yeux la Côte d’Ivoire.

Un Vip très introduit

Abbas Badreddine est l’un de ces Vip. Le patron de Plastica, entreprise leader du secteur de la plasturgie en Afrique de l’Ouest et implantée à Abidjan, n’est pas n’importe qui. Homme d’affaires prospère d’origine libanaise, il tutoie Patrick Achi, Jeannot Ahoussou Kouadio, président du Sénat, Jean-Luc Assi, ministre de l’Environnement et du Développement durable, ou encore certains des généraux les plus importants du pays.

Il est 20h30 quand il reçoit un appel inquiétant du vigile posté devant son domicile de la Riviera Golf.

Six pickup aux vitres teintées font le pied de grue. Ses occupants, des membres de l’Unité de lutte contre la grande criminalité (Ulgc), sont armés, gilet pare-balles sanglé sur le torse.

Ils demandent à voir Abbas Badreddine pour une affaire en rapport avec sa nationalité. L’intéressé est dubitatif. N’a-t-il pas reçu, le 22 juin, des mains d’un procureur du Pôle économique et financier, un avis de classement sans suite d’une plainte en dénonciation visant les comptes de sa société depuis novembre 2022 ?

Abbas Badreddine se met discrètement à l’écart dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur de France et appelle au téléphone ledit procureur. Sans succès.

Quinze minutes plus tard, les hommes du colonel Inza Fofana, alias Gruman, campent devant chez lui. Le patron de Plastica interroge alors des personnalités présentes à la réception.

Il contacte aussi des amis généraux, connaissances de longue date, puis dépêche son avocat à son domicile. L’Ulgc repart finalement à 23 heures après avoir laissé une convocation.

Abbas Badreddine se rend donc au camp de Sebroko le lendemain. C’est là que se trouve le quartier général de l’Ulgc. Il est interrogé de 12h00 à 17h00. Documents à l’appui, il explique comment il a, selon lui, obtenu la nationalité ivoirienne, raconte que, né au Liban en 1981, il a émigré en Côte d’Ivoire très jeune avec son père, qui se lançait dans l’industrie du plastique.

Une activité qu’il va perpétuer. En 2006, lors d’une rencontre avec Laurent Gbagbo, il exprime le souhait d’obtenir la nationalité ivoirienne. Sa requête est acceptée par le chef de l’État, qui signe un décret de naturalisation le 3 novembre 2006.

Le document, consulté par Jeune Afrique, est publié au Journal officiel en fin d’année. Malgré ces explications, les gendarmes de l’Ulgc annoncent à Abbas Badreddine qu’il va être placé en garde à vue à l’issue de son audition.

L’Ivoiro-Libanais proteste. On lui permet de passer quelques coups de fil et il est finalement autorisé à rentrer chez lui avec l’obligation de se présenter au Pôle économique et financier lundi matin.

Censé se rendre au Liban le soir même, Abbas Badreddine reporte son voyage. Il est reçu le 17 juillet par le procureur Jean-Claude Aboya.

L’audition est expéditive. Après lui avoir posé trois courtes questions, le juge d’instruction décide de placer Abbas Badreddine sous mandat de dépôt pour des faits de « faux et usage de faux commis dans certains documents administratifs, escroquerie portant sur du numéraire ».

L’homme d’affaires est conduit à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, la Maca.

La colère de Ouattara

Son arrestation fait grand bruit à Abidjan. Dans le week-end, Ouattara est averti. Voyant qu’Abbas Badreddine tentait d’activer son carnet d’adresses, la présidente du Pôle économique a tenu à en informer le chef de l’État, qui pique une colère.

 Il ne tolèrera aucune interférence dans ce qui se révèle être une vaste enquête portant sur des soupçons d’acquisition frauduleuse de la nationalité et de trafic de passeports. Un sujet d’autant plus sensible que la nationalité est au cœur des tensions qui ont miné la Côte d’Ivoire ces trente dernières années.

Accusé d’être d’origine burkinabè, Alassane Ouattara n’avait-il pas lui-même été empêché de se présenter à l’élection présidentielle de 2000 pour cause de nationalité douteuse ?

Tout a commencé courant mars, quand l’Ulgc procède à l’interpellation d’hommes d’affaires influents de la communauté libanaise de Côte d’Ivoire. Il leur est reproché de posséder une ou plusieurs fausses plaques diplomatiques. Les intéressés s’en sortent finalement, non sans s’acquitter d’une amende substantielle – 7 millions de francs Cfa (environ 10 000 euros) par plaque. L’enquête de l’Ulgc débouche sur l’arrestation, le 20 mars, de deux personnes de nationalité ivoirienne.

La première se faisait passer pour un ambassadeur. La seconde est un coursier de la Cour de cassation utilisant sa profession pour établir des faux documents administratifs. Trois passeports diplomatiques et deux cartes d’organisations internationales sont d’ailleurs retrouvés sur lui. Il s’apprêtait à les vendre.

Plusieurs passeports, ordinaires et diplomatiques, ainsi qu’un pistolet automatique chargé sont saisis au domicile du faux ambassadeur.

Les cerveaux présumés du trafic, un Ivoiro-Libanais, Hussein Karim, et un Ivoirien, Aboubacar Diakité, sont appréhendés deux jours plus tard.

En plus de la vente de faux documents administratifs, ils se révèlent être impliqués dans un trafic d’armes et de munitions. Leur fournisseur est aussi arrêté. Les enquêteurs ne sont pas au bout de leur surprise. Lors de l’interpellation d’Aboubacar Diakité à Biétry, dans la commune de Marcory, les policiers ont procédé à une fouille corporelle.

 Dix-sept certificats de nationalité appartenant à des Syriens et à des Libanais ont été retrouvés sur lui. Le suspect est également en possession de plusieurs laissez-passer de la Cour de cassation et d’une carte d’accès à la présidence. Son domicile est perquisitionné en début de soirée.

On y retrouve des sacs remplis de certificats de nationalité, une soixantaine de tampons de l’administration et deux armes de poing. Les cinq personnes impliquées passent aux aveux.

Fin mars, elles sont inculpées de divers chefs d’accusation, allant de faux et usage de faux commis dans des documents administratifs, escroquerie portant sur le numéraire, à usurpation de titre et de fonction, en passant par détention et cession d’armes de première catégorie ou blanchiment de capitaux.

Aboubacar Diakité est incarcéré à Sebroko, puis l’enquête semble marquer le pas. Mais, début juin, les services de renseignement de la présidence, dirigés par le préfet Vassiriki Traoré, reçoivent un signalement de leurs homologues au Qatar.

Une vingtaine de ressortissants syriens ne parlant pas français se sont présentés aux frontières qataries avec des passeports ivoiriens.

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Interrogés, ils ont reconnu avoir obtenu leur document de manière frauduleuse à Abidjan.

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