Politique

Politique ivoirienne : Laurent Gbagbo doit-il raccrocher les gants ?

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Laurent Gbagbo, l'ancien président de la République n'a pas dirigé la déconvenue de son parti, le Ppa-Ci lors des dernières élections locales. (Ph: Dr).
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 Depuis son retour à Abidjan, en 2021, l’ancien président ivoirien ne parvient pas à imposer son nouveau parti sur la scène politique et laisse toujours planer le doute sur ses intentions.

Ce jour-là, l’orateur semble en forme. L’assistance rit de bon cœur à ses saillies.

Assis derrière une longue table nappée d’un pagne bleu à son effigie, Laurent Gbagbo, chemise blanche au col boutonné, déroule son propos d’un ton badin et insiste, visiblement pa kis mécontent de son effet : « Je vous avais dit qu’il y avait fraude. Maintenant, tout le monde sait qu’il y a fraude. Habiba [Habiba Touré, son avocate et cheffe de cabinet] avait décrit la fraude avant les élections. Chacun maintenant a vu la fraude. »

Subitement, l’ambiance redevient sérieuse. Plus un bruit, plus un rire.

L’ancien président poursuit sur un ton plus solennel. « Il faut prendre à bras le corps les problèmes de la population. Certains n’en peuvent plus. La drogue Khadafi, vous connaissez ? Il faut en parler. Il faut non seulement le savoir, mais en parler. Quand on arrive dans un pays où la jeunesse commence à être accro à la drogue, il faut le dénoncer. » Le public acquiesce.

Nous sommes début octobre. Gbagbo a réuni les membres du secrétariat général de son Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (Ppa-Ci) dans le cadre d’une session extraordinaire. Si l’ambiance semble assez bon enfant, la rencontre n’a en réalité rien de réjouissant.

Un mois plus tôt se tenaient les élections municipales et régionales. Le premier test électoral du Ppa-Ci se révèle être un échec. Fondée en 2021, à son retour en Côte d’Ivoire, après son acquittement par la Cour pénale internationale (Cpi), la formation n’est arrivée en tête que dans deux localités sur 201 et ne dirigera aucune région.

Les longues négociations avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) pour élaborer des listes communes n’ont pas été une franche réussite. Parlementaires, vice- présidents… Gbagbo convoque ses troupes. Les réunions de crise vont s’enchaîner.

« Manœuvres frauduleuses »

Le Ppa-Ci, né de la fracture du Front populaire ivoirien (Fpi), dirigé par Pascal Affi N’Guessan, perd même dans d’anciens bastions historiques de l’ex-chef de l’État.

À Yopougon, commune la plus peuplée du pays, toujours marquée par les violents combats qui s’y déroulèrent pendant la crise postélectorale de 2010-2011, le député Michel Gbagbo, fils du président, a été battu par le président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, homme d’affaires à succès.

Au plan national, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) d’Alassane Ouattara a terrassé la concurrence.

La majorité présidentielle fait mieux qu’en 2018 en s’imposant dans 25 régions sur 30 et dans plus de la moitié des communes du pays.

Une véritable razzia qui réduit l’opposition à la portion congrue. « C’est une évidence : les résultats du Ppa-Ci ne sont pas bons. Ils sont même largement en deçà de nos attentes », concède un proche de l’ancien dirigeant ivoirien.

Pour la direction de la formation d’opposition, les raisons de cette défaite sont limpides : des « manœuvres frauduleuses », la « partialité des forces de l’ordre », ou encore « la destruction du matériel électoral » expliqueraient le score du Rhdp.

Non, le Ppa-Ci n’a pas perdu, puisque les résultats de ces scrutins seraient le fruit d’une fraude massive-orchestrée avec la complicité de la Commission électorale indépendante (Cei) -affirme alors en substance son porte-parole, Justin Koné Katinan, lui-même défait dans la commune abidjanaise de Port-Bouët, quelques jours plus tard, il sera remplacé au poste de communiquant du parti par Habiba Touré.

« Peut-on raisonnablement penser que 90 % des électeurs ivoiriens sont devenus subitement des sympathisants du Rhdp ? s’interroge un membre du premier cercle de Gbagbo.

Il serait bien utopique d’y croire et de se laisser convaincre par la communication et la propagande du régime. Tout ce qui est excessif devient insignifiant. » La réalité électorale ne correspondrait donc pas à la réalité politique. Fermer le banc ? Pas vraiment.

Pas assez implanté

En interne, la théorie de la triche comme unique raison de ce revers ne convainc pas tout le monde. Le Ppa-Ci était-il suffisamment implanté dans le pays, lui qui n’avait positionné des candidats que dans sa moitié sud, contournant un Nord traditionnellement acquis au camp adverse ? Était-il suffisamment prêt, notamment financièrement, à en découdre ? Non, répondent certains cadres sous couvert d’anonymat.

« Les candidats y sont allés la fleur au fusil, alors que le parti n’était pas assez implanté. Dans certaines zones, nous avions la capacité de créer quatre ou cinq fédérations, mais nous nous sommes finalement retrouvés avec une seule à cause de divisions entre représentants locaux », explique l’un d’entre eux.

« Après dix ans d’absence, il est indéniable que Laurent Gbagbo a du mal à retrouver politiquement ses marques. Quand il revient d’exil à l’aube des années 1990, il s’agit d’un retour idéologique.

Face à Houphouët-Boigny, il incarne une alternative politique.

Mais quand il rentre au pays après sa détention, c’est davantage le symbole, le “miraculé”, que l’on célèbre, et non l’incarnation d’une vision nouvelle pour la Côte d’Ivoire », analyse sur le site de Jeune Afrique André Julien Mbem, essayiste et auteur de plusieurs ouvrages sur Gbagbo.

« Un parti administratif »

En octobre 2021, Laurent Gbagbo promettait d’imposer son parti « panafricaniste », « de gauche », tourné vers « des valeurs universelles de solidarité et d’humanisme, contre les conquêtes et les oppressions étrangères », sur la scène politique ivoirienne.

Mais, deux ans plus tard, « le Ppa-Ci demeure un parti essentiellement administratif et non un appareil politique porteur d’une vision qui pourrait drainer les masses comme le FPI le faisait durant ses années flamboyantes », constate André Julien Mbem.

« L’échec aux locales appelle naturellement à des aménagements pour donner une nouvelle impulsion au déploiement et à l’animation des organes de base du parti », concède un cadre important, qui pointe du doigt une autre « nécessité », celle de « la plus grande présence du président dans la vie du parti, ce qui remobilisera les nombreux militants qui ne demandent qu’à le voir en action pour le soutenir et répondre à son appel ».

Affaibli par ses années de prison, Gbagbo a effectué un nombre limité de déplacements et de meetings dans le pays ces dernières années, au grand désespoir de ses sympathisants, qui pensaient revoir leur « Woody », leur infatigable tribun.

Dès 2022, certains membres du Ppa-Ci témoignaient de leur difficulté à trouver leur place auprès de l’ancien président de 78 ans, eux qui avaient œuvré pour sa libération et, bien avant, pour son accession au pouvoir.

Tous questionnaient alors le rôle de l’ancienne journaliste Nady Bamba, sa compagne depuis une vingtaine d’années, omniprésente à ses côtés sans pour autant figurer dans l’organigramme du parti, proche d’Habiba Touré.

Ces déçus rappellent invariablement la grande gêne qu’ils ressentirent à l’aéroport d’Abidjan quand l’ancienne première dame, Simone Gbagbo, très appréciée par les militants, s’était approchée de l’ancien président à sa sortie de l’avion pour se voir éconduite d’un geste de la main.

Depuis, elle a créé son propre parti et s’est même alliée à des candidats du Pdci aux élections locales, notamment à Yopougon. De son côté, Laurent Gbagbo a tourné le dos à l’Église évangélique, dont Simone Gbagbo est une fervente adepte, pour revenir au catholicisme.

 Fin juin, l’ancien couple présidentiel a officiellement divorcé après deux années de procédure. « Quelque part, Gbagbo a entretenu la confusion entre sa vie privée et sa vie publique, c’est regrettable. On l’a plus vu devant des juges familiaux que sur le terrain pour imposer ses idées », estime un bon connaisseur du parti.

Organiser sa succession

 « Comme je vous l’ai dit lors de mon retour, je suis un soldat du parti. Je suis à votre disposition. Mais si l’on estime que quelqu’un d’autre peut faire l’affaire, il faut qu’il se déclare et que l’on commence à s’organiser ».

Devant les membres du secrétariat général, Laurent Gbagbo l’a répété une nouvelle fois : si ses troupes estiment qu’il n’est pas la bonne personne pour incarner le mouvement, alors soit, il passera la main.

« Laurent Gbagbo a désacralisé la question de sa succession.Le temps est venu de la préparer », assure un membre de ce secrétariat qui décrit un parti fissuré où deux camps se dessinent : l’un, « réformateur », qui souhaite un passage de témoin, l’autre, plus « conservateur », qui désire que Gbagbo reste aux manettes. Deux camps dans un parti aux fondations fragiles.

Ses instances dirigeantes ont été remaniées après la débâcle des locales. Hubert Oulaye, président exécutif du Ppa-Ci, défait dans la région du Cavally, a été remplacé par Sébastien Dano Djédjé. Rétrogradé mais pas totalement écarté, il devient deuxième vice-président du parti.

L’ancien gendre de Gbagbo, Stéphane Kipré, vice-président exécutif chargé de l’implantation, secondera Dano Djédjé. Le poste de secrétaire général revient à Jean-Gervais Tcheidé, qui succède à Damana Adia Pickass, désormais deuxième vice-président du Conseil stratégique et politique du Ppa-Ci.

« Je n’ai jamais entendu le président parler de sa succession, mais je l’ai souvent entendu dire que chercher à redevenir président n’était pas une fin en soi pour lui et que ce n’était pas ce qui motivait le plus son action aujourd’hui. Il reste un soldat au service de son parti. Si le Ppa-Ci décide qu’il est le plus apte à défendre ses couleurs, il ne se dérobera pas », rectifie un proche.

Cependant, un obstacle juridique de taille demeure : Laurent Gbagbo a été radié de la liste électorale après une condamnation à vingt ans de prison prononcée en 2018 par la justice ivoirienne dans le cadre de « l’affaire du casse de la Bceao » qui lui a valu d’être déchu de ses droits civiques.

Katinan a annoncé que le Ppa-Ci ferait de la restauration des droits de son chef une priorité.

En août, Alassane Ouattara avait accordé la grâce présidentielle à son prédécesseur. Une grâce, et non une amnistie qui, elle, lui aurait permis de rêver de nouveau à la magistrature suprême.

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Reste une évidence que rappelle André Julien Mbem : « Même dans les geôles de la Cpi, Laurent Gbagbo a continué de faire de la politique et il continuera d’en faire tant qu’il jouira de ses capacités intellectuelles et mentales. »

 

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