Une poignée de mains. Une déclaration. Une inauguration. A petits pas, Paris et Rabat renouent depuis plusieurs mois. Après une année 2023 marquée par une crise diplomatique d'une rare ampleur, les deux pays affichent désormais leur volonté de tourner la page.
Le nouveau ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné a pris soin de le souligner à plusieurs reprises ces derniers jours.
En indiquant que: « Le président de la République m'a demandé de m'investir personnellement dans la relation franco-marocaine et d'écrire aussi un nouveau chapitre de notre relation », a-t-il déclaré dans un entretien au journal « Ouest-France » publié le 10 février, exactement un mois après son arrivée au Quai d’Orsay.
« La volonté est là. J'ai repris le lien avec le Maroc. Il y avait des incompréhensions qui ont amené à une difficulté », a-t-il expliqué encore lors d'une audition à l'Assemblée nationale quelques jours plus tard.
Huit mois de silence
Stéphane Séjourné est bien placé pour parler de la « difficulté » entre Paris et Rabat, doux euphémisme pour décrire une relation bilatérale brutalement mise à l'arrêt.
Le ministre a été au coeur d'un épisode de crise quand le groupe parlementaire européen qu'il présidait, Renew, a déposé une résolution dénonçant les atteintes à la liberté d'expression au Maroc.
Une riposte officieuse au scandale de corruption d’eurodéputés par Rabat. Le tout sur fond de tensions croissantes concernant le statut du Sahara occidental, et de crise des visas crise que la France délivrait alors au compte-gouttes.
Pendant huit longs mois après le vote de la résolution européenne, Rabat a coupé le contact avec Paris.
Les officiels marocains ont cessé d'échanger avec leurs homologues français à tous les niveaux et le royaume n'a pas remplacé son ambassadeur à Paris, brutalement nommé ailleurs.
Le sommet de la crise a été atteint lors du séisme du 8 septembre 2023, lorsque le Maroc n'a pas donnée suite aux propositions d'aide de la France. L'épisode, paradoxalement, semble avoir servi de prise de conscience de la gravité de la crise entre deux partenaires aux nombreux sujets de coopération - économique, sécuritaire, migratoire, éducative…
Réparer la dimension affective
La machine diplomatique a redémarré peu après. Fin septembre, Christophe Lecourtier, l'ambassadeur de France à Rabat qui n'était plus reçu nulle part, a enfin pu remettre ses lettres de créance au roi Mohamed VI.
Mi-octobre, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, en déplacement à Marrakech à l'occasion des assemblée annuelles du Fmi et de la Banque mondiale, était reçu par le Premier ministre marocain, Aziz Akhannouch. Un événement.
Quelques jours plus tard, le Maroc consentait enfin à nommer une ambassadrice à Paris. Il s'agit de Samira Sitaïl, ex-journaliste reconvertie en communicante experte des situations de crise. Un profil qui en dit long sur les attentes de Rabat.
Depuis, la relation bilatérale reprend, doucement, prudemment.
Il faut d'abord réparer la dimension affective. L'ambassadeur français a ainsi fait acte de repentance dans les médias marocains sur la crise des visas. « On a touché le coeur [des Marocains]. Je suis convaincu qu'il faudra du temps pour effacer ce gâchis, ces humiliations », reconnaît-il sur la radio 2M.
Fébrilité
Sur le dossier du Sahara occidental, la France, par petites touches, laisse entrevoir un soutien plus affirmé au plan de Rabat. Il y a trois semaines, l'ambassadeur français inaugurait ainsi une antenne de la chambre de commerce française à Guelmim, considérée comme la porte du Sahara occidental.
D'autres visites bilatérales devront suivre avant d'espérer l'organisation, enfin, d'une visite d'Etat d'Emmanuel Macron au Maroc, maintes fois reportée depuis la crise sanitaire. Mais les Français restent prudents, fébriles même.
Ils savent que le moindre faux pas pourrait faire dérailler le processus.
Les temps ont changé, l'ère de la Françafrique est révolue, veulent faire comprendre les Marocains. « Il faut sortir de l'ambiguïté : aujourd'hui, le Maroc a un nouveau statut en Afrique au moment où la France est, elle, en nette perte d'influence dans la région. Il y a inévitablement un frottement », juge Abdelmalek Alaoui, président de l'Institut Marocain d'Intelligence Strategique, un think tank basé à Rabat.
Il reconnaît toutefois « une volonté visible des deux côtés de réinventer cette relation ».