Le képi bleu et l’uniforme kaki du colonel Amadou Abdramane sont devenus familiers. Samedi 16 mars dans la soirée, c’est une nouvelle fois ce gradé, porte-parole du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp, au pouvoir à Niamey depuis le putsch du 26 juillet 2023), qui a pris la parole à la télévision nationale pour lire un communiqué faisant état de la dernière décision d’envergure de la junte nigérienne.
Le gouvernement, a-t-il indiqué dans une parution du confrère de ‘’Jeune Afrique’’, « prenant en compte les aspirations et les intérêts de son peuple », a décidé « en toute responsabilité de dénoncer avec effet immédiat l’accord relatif au statut du personnel militaire des ÉtatsUnis et des employés civils du département américain de la Défense sur le territoire du Niger ». Surtout, il déclare la présence militaire américaine « illégale » et violant « toutes les règles constitutionnelles et démocratiques ».
Molly Phee n’a pas pu rencontrer Tiani
Une décision qui n’a pas surpris, à Niamey ou Washington. Deux jours plus tôt, la visite au Niger de la secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, Molly Phee, de la secrétaire d’État adjointe à la Défense, Celeste Wallander, et du général Michael Langley, chef du commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), s’était en effet achevée sur une note de pessimisme, malgré plusieurs réunions de haut niveau à Niamey.
Molly Phee et sa délégation ont pu rencontrer le Premier ministre, Ali Mahamane Lamine Zeine, et plusieurs cadres du Cnsp. La diplomate espérait obtenir de ses interlocuteurs une relance de la coopération militaire, notamment en ce qui concerne la base américaine située à Agadez, dont les conditions d’implantation sont régies par un accord datant de 2014 et courant sur une période de dix ans, soit jusqu’à la fin de 2024.
Selon un proche du Cnsp, les membres de la délégation américaine ont toutefois aussi souhaité aborder les questions du retour à l’ordre constitutionnel au Niger, de la durée de la transition mais aussi de la politique de nouvelles alliances en cours, notamment avec la Russie et ses supplétifs.
Washington s’inquiète en effet de devoir cohabiter sur le sol nigérien avec des éléments du groupe Wagner (ou de sa nouvelle version, l’« Afrikanski Korpous » ) ou du renseignement militaire russe.
Alors que Molly Phee avait souhaité discuter de ces dossiers avec le chef de l’État et numéro un de la junte, Abdourahamane Tiani, elle n’a finalement pas pu le rencontrer.
Mais celui-ci n’en a pas moins décidé de répondre à ce que le porte-parole de Molly Phee a décrit comme des « discussions franches » sur les « inquiétudes [des États-Unis] concernant la trajectoire du Cnsp ». Dès le 16 mars, ils ont donc déclaré illégale la présence de militaires américains sur leur sol.
La ligne rouge d’une coopération avec l’Iran
« Le discours des Américains a changé depuis janvier et la visite d’Ali Mahamane Lamine Zeine à Moscou », explique notre source proche du Cnsp. Le gouvernement nigérien avait alors annoncé vouloir multiplier les accords de coopération avec la Russie de Vladimir Poutine. L’attitude américaine s’est encore durcie après que le chef du gouvernement nigérien a effectué une autre visite remarquée, en Iran, fin janvier.
Plusieurs rencontres ont en outre eu lieu à Niamey entre l’ambassadeur iranien, Mehdi Kardost, et des ministres, notamment dans le secteur de l’énergie. Suffisamment pour que Washington soupçonne les autorités nigériennes d’avoir passé des accords avec Téhéran, y compris en matière d’exploitation d’uranium.
« L’Iran est la ligne rouge à ne pas franchir en ce qui concerne les États-Unis, explique un diplomate occidental. Pour les Américains, commercer avec Téhéran revient à soutenir le terrorisme. »
Si le Cnsp a réfuté avoir conclu un quelconque accord secret sur l’uranium avec l’Iran et considère les allégations américaines comme « mensongères » et « diabolisantes », ce contexte de défiance a creusé le fossé entre Washington et Niamey ces dernières semaines.
« Les Américains nous refont le coup de l’Irak, quand ils étaient partis en guerre en inventant des mensonges sur le pays de Saddam Hussein », dénonce un activiste proche du Cnsp. Pour Abdourahamane Oumarou, leader de l’Union des patriotes panafricanistes, dénoncer la présence de la base américaine d’Agadez est en outre « une question de souveraineté nationale ».
« Peut-on s’installer dans un pays en vertu d’une simple note verbale, sans que cela soit soumis au Parlement ? », interroge-t-il en faisant référence à l’accord militaire nigéroaméricain de 2012, « imposé unilatéralement » par les États-Unis, selon le communiqué du Cnsp.
« La base d’Agadez n’a rien apporté au Niger »
L’ancien opposant reconnaît que la collaboration avec les États-Unis en matière de formation des forces spéciales et d’équipement de l’armée de l’air a pu être bénéfique à son pays. Mais, affirme-t-il, « la base d’Agadez et ses drones n’ont rien apporté au Niger ».
Un avis partagé par un ancien ministre à Niamey, lequel explique que l’armée nigérienne n’a pas réellement bénéficié des installations américaines. « Cela fait des années que Niamey se plaint d’un partage insuffisant d’informations issues des services de renseignement occidentaux au Sahel, explique une source sécuritaire. C’était le cas avec les Français mais aussi avec les Américains. La Cia recueille des informations sur les groupes criminels dans l’espace sahélien, du Mali à la Libye, en passant par l’Algérie. Mais la Dgdse [agence de renseignement] nigérienne en profite-t-elle ? ».
« Si ce que dénoncent nos services depuis des années est vrai, alors le départ des Américains ne va pas changer grand-chose pour le Niger », glisse notre ancien ministre.
En particulier si Niamey est parvenu à obtenir de la part de nouveaux alliés des garanties en matière de capacité de renseignement.
En décembre 2023, un protocole d’accord de défense a été signé entre Abdourahamane Tiani et Iounous-bek Evkourov, vice-ministre russe de la Défense. Or ce dernier est aussi l’un des architectes du déploiement des mercenaires de l’ancien groupe Wagner, depuis le décès du fondateur de celui-ci, Evgueni Prigojine.
C’est d’ailleurs ce même vice-ministre qui a reçu Ali Mahamane Lamine Zeine à Moscou en janvier et qui entretient aujourd’hui des liens étroits avec les juntes d’Assimi Goïta au Mali et d’Ibrahim Traoré au Burkina Faso, partenaires de Niamey au sein de l’Alliance des États du Sahel (Aes).
Le Cnsp est plus soudé qu’il n’y paraît
« La crainte des États-Unis est que la Russie se pose en parrain de l’Aes en matière de défense, explique notre diplomate occidental. C’est sans doute pour cela qu’ils ont d’abord voulu maintenir le dialogue avec le Cnsp, avant que l’histoire avec l’Iran n’intervienne. » Une source diplomatique à Paris s’en amuse : « Ils ont cru faire mieux que les Français en jouant la carte du pragmatisme – comme nous après le putsch d’Assimi Goïta au Mali.
Mais le résultat est toujours le même avec ces juntes. » « L’un des piliers de leur pouvoir, c’est le populisme anti-occidental. Évidemment, cela fonctionne mieux à l’encontre de l’ancienne puissance coloniale française. Mais, tôt ou tard, il fallait s’attendre à ce que les militaires actionnent ce levier contre les États-Unis », ajoute celle-ci.
Plusieurs organisations de la société civile proches du Cnsp avaient manifesté à Niamey, le 15 mars, à la veille de l’annonce du Cnsp, pour demander le départ des Américains du pays.
L’une des erreurs de Washington a-t-elle été de trop miser sur sa proximité avec le général Moussa Salaou Barmou ? Cadre du Cnsp, nommé chef d’état-major des armées nigériennes après le coup d’État ayant renversé le président Mohamed Bazoum, celui-ci a en partie été formé aux États-Unis et a été l’un des interlocuteurs privilégiés de la diplomatie américaine après le putsch.
Au point que certains stratèges diplomatiques l’imaginaient s’opposer aux visées pro-russes d’autres putschistes. Moussa Salaou Barmou est toutefois apparu ces derniers temps en première ligne du projet de force conjointe de l’Aes, appelée à unir les armées malienne, burkinabè et nigérienne dans la lutte anti-jihadiste, avec l’appui de Moscou.
« Malgré des divergences passées, le Cnsp est sans doute plus soudé que certains ne l’imaginent », explique notre ancien ministre à Niamey.
« Leur boussole, c’est la souveraineté nationale avec le soutien populaire », conclut Abdourahamane Oumarou.