Chefferie d’Adjamé-Bingerville/Une semaine après le passage du Préfet d’Abidjan : L’ancien chef Agbo Honoré visé

Initialement annoncée par le Préfet d’Abidjan au Palais de la chefferie d’Akwê-Djêmin, la séance de travail s’est finalement tenue à la place publique du village (Gbèkrékoumin). Un changement de dernière minute qui a été « imposé » au Préfet hors grade par le camp Mobio Aboussou. Qui avait à cœur de s’appuyer sur la foule enrôlée et acquise à la cause du faux chef pour « obliger » le Préfet à donner l’arrêté à leur champion. 

Sous les bâches dressées et occupées aux trois -quart  par le camp Aboussou qui s’est arrangé pour tenir en minorité le chef Awaka Agbo Ghislain et sa délégation, l’on a assisté à un spectacle désolant de huées et d’injures contre la délégation du chef Awaka d’une part, et d’applaudissements et de cris de joie pour les intervenants pro-Aboussou d’autre part. Mais ce triste spectacle n’a nullement démonté l’Administrateur public qui s’était attelé à conduire jusqu’au bout la séance qui a duré près de 4 heures. 

Mobio Aboussou forclos …à jamais

Entre les velléités d’intimidation portées par un certain Adéké Joseph (pro-Aboussou) que le Préfet a recadré dès l’entame et les humeurs de la foule chauffée à blanc pour obliger le Préfet à « donner l’arrêté à Mobio Aboussou pour ramener la paix dans le village », comme l’a publiquement clamé Koudjè Magloire (pro-Aboussou), le Préfet d’Abidjan s’est attelé à mettre au grand jour le bon grain afin de le séparer publiquement de l’ivraie. Pour ce faire, il a fait venir, à la surprise générale, Nanan Adékoi François, 97 ans. Le doyen et chef de terre du village est, comme partout en pays atchan, au début et à la fin (en tant que celui qui donne l’onction) du processus de choix du chef effectué par les chefs de catégories.

Le doyen et chef de terre du village est, comme partout en pays atchan, au début et à la fin (en tant que celui qui donne l’onction) du processus de choix du chef effectué par les chefs de catégories.

Dans le choc des interventions et sous le feu roulant des questions Préfet, jaillira une évidence : trois chefs de catégorie sur les quatre autorisés, ont publiquement porté leur choix sur Awaka Agbo Ghislain Alfred. Un seul, Koudjè Magloire a opté pour Mobio Aboussou. Nanan Adékoi François qui s’est exprimé à travers Adjasso Binger (Hilaire) son porte-canne, viendra confirmer ce choix. Mais pas que. Le garant des us et coutumes s’est également fait le devoir d’expliquer pourquoi et comment le nommé Mobio Aboussou George Guy qui faisait bien partie des candidats à la succession de l’ancien chef Agbo Honoré pour le compte de la génération montante, les Tchagba s’est mis hors-jeu. En des mots succincts, le porte canne s’est voulu catégorique : Mobio Aboussou George Guy ne peut et ne sera jamais, en aucune manière possible, chef du village d’Adjamé-Bingerville au nom de la génération Tchagba.

Le ‘’coup d’Etat’’ de 2019

Tout part le 02 octobre 2019. Mobio Aboussou porté par un groupe se réclamant de la génération Tchagba est proclamé et ‘’oint’’ chef du village d’Adjamé-Bingerville. Malgré l’indignation et les appels de la cour de Nanan à la raison, l’homme et son groupe emménagent au siège de la chefferie pourtant tenue par le chef Agbo Honoré dont le mandat toujours en cours, devait prendre fin le 31 décembre 2020. Le chef Agbo n’aura aucune réaction. Ni au niveau des autorités administratives, ni auprès des garants des us et coutumes pour dénoncer la « forfaiture » de Mobio Aboussou. En violation totale des us et coutumes atchan ainsi que la loi ivoirienne d’une part, et en rébellion totale contre le Nanan d’autre part, Mobio Aboussou confortablement installé à la chefferie d’Akwê-Djêmin (Adjamé-Bingerville) et se met à ‘’gouverner’’ le village. Sur fond de violences contre tous ceux qui osaient leur dénier le titre de chef. Cette ‘’gouvernance’’ inédite se poursuivra jusqu’en octobre 2022. Malgré la consultation populaire du 14 juillet 2021 et l’arrêté préfectoral N°134/PA/SG/D1 du 05 octobre 2021 consacrant Awaka Agbo Ghislain Alfred, nouveau chef du village. 

Le 27 octobre 2022, le faux chef Mobio Aboussou Georges Guy est arrêté et condamné à 6 mois de prison ferme pour « usage irrégulier du titre de chef de village ». Libéré depuis mars 2023, l’homme est sous contrôle judiciaire. Et se fait très discret. Mais sur le terrain, ses lieutenants officiels et ses parrains de l’ombre continuent d’user de tous les moyens pour sa rédemption. Quitte à tordre le coup aux us et coutume en la matière. Ou verser carrément dans l’outrage à agent chargé d'une mission de service public comme on a pu le voir le 26 juillet 2023 avec Adéké Joseph (pro-Aboussou).

Le mercredi 26 juillet dernier, entre autres points abordés, le Préfet d’Abidjan a rappelé qu’en pays atchan, le chef de village en place n’a pas à intervenir dans le choix de son successeur. Cela est plutôt du ressort des 4 chefs de catégories conduits par le chef de la génération montante. Ce sont eux qui se prononcent à la majorité absolue pour l’un des préposés dans ce que l’on appelle la « consultation populaire ». Pour tous les observateurs avertis du dossier de la crise de la chefferie d’Adjamé-Bingerville, ce rappel du Préfet Germain François Goun est loin d’être anodin.

Sinon, à votre avis, pourquoi le chef Agbo Honoré n’a jamais levé le petit doigt ni donner la moindre voix pour dénoncer la ‘’rébellion’’ Aboussou ? Qui aidait Mobio Aboussou à ‘’gouverner’’ le village pendant que le chef Agbo Honoré était encore au pouvoir ?

Et pour cause : dans le village, l’implication de l’ancien chef Agbo Honoré dans le choix, la ‘’gouvernance’’ avant l’heure et la ‘’rébellion’’ de Mobio Aboussou depuis 2019 n’est plus un secret dans le village. « Sinon, à votre avis, pourquoi le chef Agbo Honoré n’a jamais levé le petit doigt ni donner la moindre voix pour dénoncer la ‘’rébellion’’ Aboussou ? Qui aidait Mobio Aboussou à ‘’gouverner’’ le village pendant que le chef Agbo Honoré était encore au pouvoir ? Qui signait les documents officiels pour permettre à Aboussou de poser des actes de gestion du village pendant la durée de sa ‘’rébellion’’ ? », s’indigne S. G Akré, quinquagénaire du village présent à place publique le mercredi 26 juillet dernier.  

Quid de la cour de Nanan Adékoi François avec ses porte-cannes qui n’ont jamais prononcé et indexé ouvertement l’ancien chef dans leurs différentes sorties (en public) depuis le début de la crise ? « Ils ont vécu, ils ont vu et ils savent bien cela, mais sachez que le Nanan et ses porte-cannes n’ont pas vocation à livrer une autorité coutumière, fut- elle ancien chef de village, à la vindicte populaire. C’est donc aux autorités judiciaires et à la justice de faire leur travail à partir des révélations qui circulent. Et il faut que cela se fasse », nous éclaire ce membre de la communication de la chefferie. 

Les grandes dates et les grandes questions

Depuis le passage du Préfet d’Abidjan dans le village le 26 juillet 2023, ceux qui soupçonnaient l’ancien chef d’être l’un des principaux responsables de la crise de la chefferie, malgré la discrétion et le lourd silence de l’homme face à la marée de sollicitations des journalistes, se disent finalement peu surpris par la tournure des choses totalement inédites en pays Atchan. L’ex-chef (de la génération Dougbô), apprend-on, n’a jamais envisagé le ‘’rejet’’ de Mobio Aboussou George Guy pour lui succéder à la fin de son mandat le 31 décembre 2020. Surpris par le niet catégorique de Nanan, son père biologique qu’il croyait pouvoir convaincre en aparté, désarçonné par le choix porté sur Awkaka, il s’est retrouvé sans plan B. Si ce n’est l’option de l’ombre d’où il pousse dans le dos son ‘’filleul’’ Mobio Aboussou à tenir bon. 

Comment Agbo Honoré a-t-il bu le calice de son Waterloo ‘’successionnel’’ ? Pourquoi a-t-il décidé de s’enfermer dans le silence des SMS au lieu de décrocher son téléphone et livrer de vive voix sa part de vérité aux journalistes qui le relancent depuis le mercredi 26 juillet dernier ? Quand se décidera -t-il enfin à s’expliquer ? Retour sur les grandes dates qui ont fait basculer le village d’Adjamé-Bingerville, vu de l’intérieur et reconstitué à partir des échanges informels de l’ancien chef et des témoignages des proches et lieutenants de son ‘’filleul’’ Mobio Aboussou.

14 juillet 2021. La consultation populaire vient de désigner à trois voix contre une (celle de Koudjê Magloire, pro-Aboussou), Awaka Agbo Ghislain Alfred comme nouveau chef du village. C’est le coup de tonnerre dans la ‘’Mobiosphère’’ qui s’est autoproclamé chef et ‘’gouverne’’ le village depuis le 02 octobre 2019, avec l’appui du ‘’parrain’’, le chef Agbo Honoré. 

05 octobre 2021. Sortie de l’arrêté préfectoral N°134/PA/SG/D1 du 05 octobre 2021 signé par le Préfet Germain François Goun au nouveau chef du village choisi selon les us et coutumes atchan, Awaka Agbo Ghislain Alfred. 

11 novembre 2021. A la cérémonie de passation de charges entre l’honorable Awaka Agbo Ghisain Alfred et Agbo Honoré en sa résidence à Adjamé-Bingerville, l’homme annonce à l’Assemblée que la caisse du village dont il avait la gérance jusque-là, est vide. Il insiste auprès du Commissaire de Justice, Maître BLOA Jérémie présent, afin qu’il souligne bien cela dans son rapport. Pourtant la caisse du village qu’il aura géré 15 ans durant, a toujours été approvisionnée. Les fonds constitués des retombées du patrimoine (meuble, immeubles, divers…) du village, est estimé à plus d’un milliard de FCFA. Certaines indiscrétions parlent même d’environ 5 milliards de FCFA.

Agbo Honoré…de jour et de nuit

Dans le petit monde des pro-Aboussou, l’ancien chef Agbo Honoré ne se gêne pas pour laisser libre cours à sa lecture de la situation à Adjamé-Bingerville lors d’échanges informels. Ici, l’homme argue qu’en sa qualité de chef sortant, il trouvait juste de porter un choix parmi les candidats de la génération Tchagba pour sa succession. Ainsi, pour lui, des 3 candidats en vue, Mobio Aboussou était celui qui avait les qualités requises pour assurer les fonctions de chef. Ceci expliquerait-il son silence et son appui à peine voilée à l’installation et à la ‘’gouvernance’’ de Mobio à la chefferie alors qu’il était encore au pouvoir en octobre 2019 ? Rien n’est moins sûr.

Pour son choix de Mobio Aboussou, l’ex-chef affirme avoir eu, d’une part, l’accord de Koudjè Magloire, chef de la catégorie Tchagba Agban. Quid des trois autres chefs de catégorie (Tchagba Djéhou, Tchagba Dongba et Tchagba Assoukrou) ? Quid du chef de la génération Djinin Djro Serge ?... D’autre part, le choix et la proclamation d’Aboussou en tant que chef a bénéficié, apprend-on, de l’onction du doyen Aga Djoman présenté comme « le vice doyen » du village (qui n’existe pourtant pas en pays atchan, NDLR). Quid de Nanan Adékoi François ? « Il faut comprendre que ce dernier encore bien vivant a refusé de se faire complice de cette violation des us et coutumes dont il est d’ailleurs le premier garant », croit savoir ce cadre de la génération Dougbô qui ne cache pas sa tristesse face au spectacle désolant qu’offre son village depuis 2019.

 Il faut comprendre que ce dernier encore bien vivant a refusé de se faire complice de cette violation des us et coutumes dont il est d’ailleurs le premier garant

Mais pour l’ex-chef cependant, les choses sont simples : Nanan Adékoi François, vieux de 97 ans, aurait été trompé pour donner son onction à Awaka Agbo Ghislain Alfred. Ainsi, sur la base du courrier signé par Nanan Adékoi François, cosigné par le chef de la génération Tchagba Djinin Djro Serge, et envoyé à l’autorité administrative le 11 mars 2021 pour l’informer du choix du chef du village, l’ex-chef et son groupe sont catégoriques : « Chez nous, ce n’est pas le Nanan qui choisi le chef du village ». Et pourtant…

In fine, l’ex-chef ne se reconnait guère dans les accusations de détournement de fonds de la communauté villageoise portées contre lui. Il s’agirait plutôt d’une « confiscation » des fonds pour ne pas qu’ils profitent à Awaka Agbo Ghislain Alfred qui n’est pas le chef ‘’légitime’’ du village. C’est-à-dire pas celui qu’il a choisi. Et pourtant.

Le SOS du village

Au demeurant, l’ancien chef semble mener un double jeu depuis la désignation (officielle) de Awaka Agbo Ghislain Alfred : s’aligner sur la vérité des us et coutumes le jour et galvaniser son ‘’filleul’’ Mobio Aboussou et ses lieutenants la nuit. Muré dans un silence troublant face aux appels et messages téléphoniques des journaux, submergé par la marée des accusations tous azimuts, il a fini cependant par sortir de son devoir de réserve (Soir Info du 03 juillet 2023), par un SMS laconique où il écrit : « De la pure diffamation et calomnie orchestrées par des revanchards aigris ; je ne me reconnais pas dans ces accusations et je répondrai en temps opportun ».

En attendant ce « moment opportun », depuis le passage du Préfet d’Abidjan, les appels se multiplient. Invitant la communauté à la prudence face à la campagne d’intoxication et de manipulation de l’opinion qui entretient la division dans le village à travers la diffusion d’informations erronées et des accusations gratuites sur les réseaux sociaux.  Ici, l’on s’insurge contre toutes les pratiques et informations qui tentent de décrédibiliser les institutions coutumières du village. 

Aussi, il est demandé aux services compétents en la matière de se pencher sur les informations qui circulent depuis quelques temps dans les médias. Les accusations portées contre M. Agbo Honoré visent vraisemblablement à nourrir une tension et une psychose de suspicion dans le village ainsi que de jeter l’opprobre sur la chefferie.

En tant qu’autorité traditionnelle ayant géré les biens de la communauté villageoise pendant 15 ans, M. Agbo Honoré peut et doit donc être entendu. Sa gouvernance et sa gestion de la caisse du village se doivent également d’être soumises à la lumière des médias et rendues publiques auprès de la population et de l’opinion nationale afin qu’il soit lavé de tout soupçon et accusation.

La chefferie se veut un organisme transparent en vertu de la Loi N°2014-428 du 14 juillet 2014 portant statut des Rois et chefs traditionnels.

La chefferie se veut un organisme transparent en vertu de la Loi N°2014-428 du 14 juillet 2014 portant statut des Rois et chefs traditionnels. Si la confiance de la communauté doit être gagnée par plus de transparence et de régulation dans ce secteur émergent de la promotion de la cohésion nationale, les autorités administratives compétentes, se doivent d’agir comme un chef de file dans le domaine. 

Les informations de détournement des fonds de la communauté, si elles ne sont décantées à temps, visent vraisemblablement à nourrir une tension et une psychose de suspicion dans le village ainsi que de jeter l’opprobre sur la chefferie actuelle de la génération Tchagba.

Quoiqu’il en soit, depuis le mercredi 26 juillet 2023, la messe semble dite. Pour le ‘’filleul’’ de l’ancien chef Agbo Honoré, le Nanan a tranché. Il n’est pas du genre à revenir sur sa parole (qui est sacrée en pays atchan). Avec 3 voix contre 1 et l’onction de Nanan, Awaka Agbo Ghislain Alfred est celui qui aura tiré son épingle du jeu de la séance de consultation populaire inattendu conduite par le Préfet d’Abidjan Gremain Francois Goun le mercredi 26 juillet 2023.