De nombreux experts dans leurs écrits ont signifié l’adoption de lois spécifiques pour gérer les erreurs médicales qui se produisent dans les centres de santé. Ils ont également souligné des mesures pour améliorer le bien-être du personnel soignant et pour renforcer les systèmes de santé, informe l’AIP.
La problématique des erreurs médicales préoccupe toutes les institutions travaillant dans le secteur de la santé. Ainsi, citant l’Institut of Medicine, un rapport du secrétariat de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) produit en 2002, indique que « les erreurs médicales » provoquent entre 44 000 et 98 000 décès annuels dans les seuls hôpitaux des États-Unis d’Amérique, c’est-à-dire plus que les accidents de la circulation, le cancer du sein ou le SIDA ».
Selon l’Agence Ivoirienne de Presse, Christophe Foé Ndi dans sa thèse de doctorat intitulée ‘’ La mise en œuvre du droit à la santé au Cameroun’’ soutenue en 2019 à l’université d’Avignon (France), s’est interrogé sur le thème ‘’Si ces chiffres sont vrais pour des pays aussi développés et bien régulés que les Etats-Unis, qu’en serait-il donc pour le Cameroun ? ‘’.
L’étude de Pauline Aimée Tefouet Sokeng a apporté un élément de réponse en affirmant que « de nombreux scandales se produisent quotidiennement dans les hôpitaux, à l’exemple des répétitifs scandales du sang contaminé ou des anesthésies mal dosées et qui entraînent la mort ou de graves conséquences pour les malades ».
Une réponse que semble corroborer le ministère de la Santé publique du Cameroun lui-même qui, dans sa stratégie sectorielle de santé 2016 – 2027, admet par exemple que « une grande proportion des hépatites virales est due aux actes de transfusion sanguine ».
L'absence de textes juridiques
À l’origine de cette impunité, l’absence de texte, indique la même source. « Il n’existe pas de législation spécifique qui régit les erreurs ou fautes médicales au Cameroun. J’irai plus loin en disant qu’il n’y a pas un droit médical, spécifiquement camerounais », indique Gaston Watou.
Situation identique en Côte d’Ivoire où l’universitaire Yanourga Sanogo, chef du département de Droit de l’université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo, affirme que « la législation n’est pas à la pointe et se borne à être une copie du droit français alors que nous avons nos réalités ici. ».
Ce dernier qui est spécialiste du droit de la santé et du droit médical poursuit en disant que « dans un contentieux, le juge aura du mal à trancher parce que les procédures sont inexistantes, on préfère régler en famille et beaucoup de choses passent sous silence ».
Pour le juriste Jean Bonin Kouadio, président de l’organisation non-gouvernementale ‘’Fiers Consommateurs’’ basée à Abidjan, la principale raison pour laquelle les victimes d’erreurs médicales ne saisissent pas la justice est la difficulté même qu’il y a à prouver ladite erreur.
« À ma connaissance, dit-il, les victimes d’erreurs médicales ne portent pas plainte en Côte d’Ivoire pour la simple raison qu’elles n’ont elles-mêmes aucun moyen de savoir si elles ont été confrontées à une erreur médicale ou pas ».
Pauline Aimée Tefouet Sokeng, doctorante en droit des affaires et de l’entreprise à l’université de Dschang (Cameroun), déplore cette situation dans une étude produite en octobre 2021 dans la revue International Multilingual Journal of Science and Technology (IMJST).
« Il est regrettable de voir que les juges camerounais persistent à demander à la victime, pauvre, fragile et dépourvue de toute technologie médicale, de prouver non seulement la faute, mais également le lien entre la faute et le dommage subi », écrit cette dernière.
Quelques cas d’erreurs médicales
Louis Ephraïm Okou n’oubliera certainement jamais son histoire. Cet artiste ivoirien non-voyant, plus connu sous le nom de Max Melo, n’est pas né avec son handicap…
Hospitalisé au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody à Abidjan pour une fièvre, il allait recevoir des doses de médicaments dans les yeux. « On disait à mes parents de ne pas laisser mes yeux à l’air libre parce que le vent souffle sinon le traitement n’allait pas fonctionner », se souvient l’infortuné.
Sauf qu’au bout de quelques jours, la maman du jeune garçon, n’y comprenant rien, allait passer outre cette interdiction et retirer la bande pour constater que les yeux de son fils qui n’avait pas de problème, était abîmé, faisant de lui désormais un non-voyant.
De son côté, maître Gaston Watou, avocat au barreau du Cameroun, n’en revient toujours pas de la mésaventure d’un de ses clients il y a quelques années à l’hôpital général de Douala où ce dernier était arrivé pour être pris en charge.
Au cours de l’administration des soins, un mauvais usage du cathéter lui avait causé une thrombose veineuse profonde. Il s’agit d’une maladie qui se caractérise par la formation de caillots de sang dans la veine.
« Par la suite, le patient était mort des conséquences de cette mauvaise utilisation du cathéter. De pesanteur en pesanteur, la procédure que nous avions engagée n’a jamais pu aboutir », regrette encore aujourd’hui l’avocat.
En effet, nombreux sont ceux qui pensent que la multiplication des erreurs médicales ces derniers temps en Afrique s’explique en bonne partie par cette impunité dont jouissent les professionnels de la santé.
Code de la santé
Ainsi, en Côte d’Ivoire comme au Cameroun et dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne, on regrette l’absence d’un texte spécifique applicable en cas de contentieux médical, à l’instar du code de la santé publique tel qu’on en trouve dans les pays développés.
Et aux yeux des juristes, cela est un vide à combler en urgence compte tenu des conflits croissants qui opposent les soignants et les patients ou les ayants-droit de ces derniers. « Il y a un véritable problème, il faut mettre le pied dans le plat. Car, on a presque un vide juridique. On n’a pas de Code de la Santé », affirme Yanourga Sanogo de l’université de Korhogo en Côte d’Ivoire.
« L’institution d’un Code de la santé participerait davantage à recadrer les praticiens, les patients et les instances judiciaires, lorsque confrontés à une erreur médicale. Il permettrait davantage d’asseoir la procédure à suivre lorsqu’un patient lambda désire mettre en œuvre la responsabilité des professionnels de santé, en présence comme en l’absence d’erreur médicale avérée. », écrit pour sa part Pauline Aimée Tefouet Sokeng.
Pour clore, les experts pensent que pour sauver la confiance entre le personnel soignant et les patients, les pouvoirs publics devraient aussi restructurer les hôpitaux pour y promouvoir un management consensuel et collaboratif.
Sans oublier de renforcer la rigueur dans la formation initiale du personnel de santé et d’améliorer son bien-être pour « récompenser et célébrer ces personnes qui mettent tout le temps leur vie en danger pour sauver celles des autres ».