C'est pourquoi, un peu partout sur le territoire national, l'on aura droit à de belles oppositions entre le RHDP, parti au pouvoir et les principales formations politiques de l'opposition que sont le PDCI et le PPA-CI. Mais aussi des collisions fratricides entre camarades de même parti ou encore entre partis alliés.
À Abobo, les débats ne seront pas moins âpres entre principalement la ministre d'Etat, Kandia Camara-Kamissoko du RHDP, Mangoné-Bi du PPA-CI et l'indépendant Koné Téifour.
ABOBO, LA FRONDEUSE
Située au Nord d'Abidjan, la commune d'Abobo, avec ses 1.340.083 habitants chiffrés par le RGPH de 2021, reste la plus peuplée du District d’Abidjan avec une densité de 14.889 hab/Km² selon Wikipedia.
Restée pendant de longues années en marge du développement et la modernisation de la capitale abidjanaise, Abobo, l'oubliée, la boudeuse et la rebelle, a porté sa croix sur au moins trois décennies.
Un environnement socio-économique qui constituera un terreau fertile à la poussée de l'idéologie de Gauche chez les " Abobolais". Si bien que lorsque s'ouvrent les élections multipartisanes de 1995, les populations locales n'hésitent pas à plébisciter la liste Simone Gbagbo (FPI) et Jacqueline Oble (RDR) aux législatives. C'était à l'époque où l'opposition nourrissait l'ambition légitime d'obtenir l'alternance démocratique après le long règne de feu le président Félix Houphouët-Boigny.
Avec l'avènement du FPI au pouvoir, en octobre 2000, Simone Gbagbo y gardera une grande influence et poursuivra son bail au Parlement jusqu'au 11 avril 2011.
Puis vint la crise post-électorale de la fin 2010 avec son corollaire de violences symbolisées par le "commando invisible" de la rébellion ivoirienne qui avait pris ses quartiers à Abobo pour déclarer la guerre au pouvoir Gbagbo et tout ce qui s'y rapportait.
KANDIA ET LE LOURD HÉRITAGE D'HAMED BAKAYOKO
Au sortir de la grave crispation politique de 2011, le président Alassane Ouattara s'installe au Palais présidentiel et dans la dynamique du triomphe, son parti, le RDR, rafle la plupart des postes électifs en compagnie du PDCI dans un contexte où les partisans de Laurent Gbagbo boycottent toutes les consultations électorales du moment.
À Abobo, feu Hamed Bakayoko succède à Adama Tounkara, aux élections municipales de 2018. Sa proximité et sa générosité à l'endroit des populations de tous bords, font rapidement naître chez celles-ci, toutes les espérances possibles d'un Abobo nouveau.
Malheureusement, le rêve ne dure pas longtemps puisque Hamed Bakayoko, le Premier ministre et maire d'Abobo trouve la mort le 10 mars 2021, en Allemagne, des suites d'une courte maladie. Il laisse un lourd héritage à la ministre d'Etat Kandia Camara-Kamissoko qui lui succède dans le fauteuil municipal pour achever le mandat en cours.
Chez les partisans de l'ex-Premier ministre, le choc est brutal, la douleur profonde et l'oubli, difficile.
Une ronce de plus dans l'opération séduction de la première magistrate de la commune qui sait qu'elle se doit de réconforter et rassurer les bases locales du parti avant de se lancer à la chasse aux électeurs dans la perspective du 2 septembre 2023.
Bénéficiant de sa position au gouvernement, Kandia va s'approprier les gros projets socio-économiques déroulés par le chef de l'Etat dans la commune sans oublier la poursuite des chantiers ouverts par feu Hamed Bakayoko.
À terme, toutes ces infrastructures, c'est sûr, changeront sensiblement le visage d'Abobo. Et la candidate du RHDP aux municipales de septembre prochain le sait si bien qu'elle ne manquera pas de puiser les éléments de langage dans ces travaux pharaoniques pour sa campagne.
Cela suffira-t-il pour autant à la faire élire avec panache comme clament ses lieutenants?
À priori oui si avec les gros moyens de l'Etat à disposition, elle parvient à ratisser large et fédérer autour d'elle, toutes les forces vives de la commune. Ce qui, pour l'heure, est loin d'être le cas.
Parce qu'en réalité, dans les bases même du RHDP, si les militants apprécient les différents projets de développement lancés par le Président Alassane Ouattara et leur maire, ils trouvent en revanche, Kandia peu accessible , tout le contraire de feu Hambak qui lui, donnait sans compter et qu'elle a en conséquence, du mal à faire oublier dans les cœurs.
Dans le même ordre, ses détracteurs dénoncent la chasse aux sorcières qu'elle a menée, à son arrivée, à la mairie d'Abobo, contre les hommes d'Hamed Bakayoko. Une attitude qui n'a pas monté sa côte de popularité auprès de ces derniers et leurs différents cercles d'influence.
Aussi, en dehors des milieux proches du parti au pouvoir, n'est-il pas rare d'entendre des témoignages dénonçant une autorité cassante et un personnage clivant.
Une perception sur laquelle pourront aisément surfer ses adversaires déclarés aux consultations du début septembre.
MANGONÉ BI, LA SURPRISE DU CHEF?
Le premier d'entre eux est Mangoné Bi, jeune cadre dynamique, natif d'Abobo et candidat du PPA-CI aux prochaines municipales dans cette commune. Président de l'ONG "Abobo Nouvelle Vision", il s'est fait connaître depuis une décennie par ses actions sociales à l'endroit des couches les plus vulnérables de la commune.
Il a ainsi fait le tour des marchés, des hôpitaux et visité plusieurs communautés religieuses et associations de ressortissants des quatre coins du pays pour offrir des présents ou encore mener des actions citoyennes de salubrité publique et de lutte contre la Covid-19.
À cela, il faut ajouter les arbres de Noël au profit des tout-petits et le soutien aux projets jeunes et aux femmes en quête d'autonomie financière.
Un amour du prochain et un sens de la solidarité qui a valu très tôt à Mangoné Bi d'être perçu dans certains milieux de la commune, comme le "nouveau Hambak", en référence au regretté Premier ministre avec lequel il pousse la ressemblance jusqu'au physique. Là s'arrête la comparaison.
Et d'ailleurs, c'est cet fort courant de sympathie des populations d'Abobo qui le pousse à s'engager finalement en politique, ces dernières années, avec l'ambition de gouverner la commune autrement, à travers une gestion participative qui réduit les inégalités sociales.
Au sein de la Fédération PPA-CI d'Abobo, il ne met pas longtemps à attirer sur lui, la lumière grâce au travail de proximité auprès des militants et la promotion des idéaux et valeurs chers au président Laurent Gbagbo. Le premier meeting des militants, post crise électorale, animé le 11 avril 2024 à Abobo, par le Secrétaire Général, Damana Adia Pickass, avec le succès connu, est à mettre à l'actif de Mangoné Bi. C'est donc tout naturellement que l'homme a été désigné pour porter les couleurs du PPA-CI au scrutin du 2 septembre 2023.
Entretenant un bon commerce avec les mosquées d'Abobo et bien de communautés ressortissantes du nord du pays, Mangoné-Bi peut également tirer avantage de l'absence de candidature du PDCI à ce scrutin pour capter les voix de ce parti dans la dynamique de l'alliance conclue entre les présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo à ces élections locales de 2023 et qui fonctionne déjà bien dans ne nombreuses localités du pays.
À ce titre, il faut noter que le jeune leader a déjà mené de nombreuses activités avec les structures spécialisées du parti septuagénaire à Abobo.
De ce qui précède, il ne serait point excessif d'affirmer que Mangoné-Bi peut aisément constituer la surprise du chef au soir du 2 septembre 2013, à Abobo.
KONÉ TÉIFOUR, QUEL POIDS EN 2023?
Proche de Guillaume Soro, Koné Téifour est un nom bien connu à Abobo où il a été élu député en 2011 avant d'échouer plus tard, en 2018, aux municipales, face à feu Hamed Bakayoko.
Pour les élections du 2 septembre à venir, c'est sous la tunique " indépendant" que l'homme se présente, le GPS, la formation politique dont il se réclame, ayant été déclaré dissous par les gouvernants actuels.
D'ailleurs, dans les milieux GPS de la commune, la consigne semble claire: rester solidaire des camarades emprisonnés jusque-là, en ne participant à aucune élection, jusqu'à nouvel ordre.
Dans ces conditions, d'où pourraient venir alors les soutiens devant porter Koné Téifour au bout de ses ambitions?
S'il jouit de quelque sympathie dans les cercles du RHDP à Abobo, c'est plutôt du côté du PDCI local que lorgne Téifour. Sa récente visite au président Henri Konan Bédié, à Daoukro,- auquel il a présenté son offre politique pour Abobo-, l'a plus que jamais réconforté dans ce sens.
Sauf que Koné Gogé, le candidat annoncé du PDCI à ces élections mais finalement recalé par les siens, n'entend pas succomber au chant des sirènes de la team Koné Téifour.
En effet, dans une déclaration en date du lundi 24 juillet 2023, il marque sa surprise du non acheminement de son dossier à la CEI par son parti et dans l'attente de l'arbitrage du président Henri Konan Bédié, écarte toute idée de faire chorus avec l'indépendant Téifour.
Les militants PDCI selon toute vraisemblance, seraient sur la même longueur d'ondes, eux qui soupçonnent Koné Téifour d'être derrière l'infortune leur champion, Koné Gogé.
Un coup tordu qu'ils compteraient faire payer cash au cadre de l'ex-GPS.
Ce qui n'est visiblement pas fait pour faciliter la vie et les plans de l'ancien député d'Abobo dans la perspective du 2 septembre 2023.
Wait and see.
TOURÉ Joseph André
Analyste politique