Économie

Union économique et monétaire ouest africaine : L’on réclame des réformes en profondeur concernant l'Uémoa

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Les dirigeants des pays membres de l'Uémoa lors d'un conclave. (Ph: Dr et d'archives).
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Coups d’État, sanctions, désunions…l’Uemoa (Union économique monétaire ouest africaine) prête à craquer ? Chantre de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, l’union économique et monétaire, qui rassemble, depuis 1994 huit pays membres autour du franc Cfa, est plus divisée que jamais. Pour repousser les menaces d’implosion, nombreux sont ceux qui réclament des réformes.

« Huit pays, un destin commun ». Par les temps qui courent, la devise de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui réunit Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo autour du franc Cfa, sonne faux. 

Elle est en effet mise à mal par le contexte politique.

Au fil des coups d’État et des sanctions qui les condamnent, l’organisation, pourtant habituée aux tensions, se trouve divisée comme jamais, selon notre confrère de J.A.

Les régimes militaires de Bamako, d’Ouagadougou et de Niamey s’opposent aux cinq exécutifs réguliers, eux-mêmes partagés entre tenants d’une ligne dure face aux putschistes, comme Abidjan, et partisans d’une approche plus modérée, à l’instar de Lomé. 

De quoi faire planer la menace d’une implosion, d’autant que l’Uemoa peine à sortir de l’ombre de sa grande sœur, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), intransigeante face aux militaires. 

Pour ne rien arranger, ces difficultés interviennent alors que l’organisation, bousculée par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine, doit adopter un nouveau pacte de convergence et relancer la très ardue réforme de la monnaie commune. 

À l’aube de son trentième anniversaire, qui sera célébré le 10 janvier 2024, comment compte-t-elle assurer son avenir ? 

Un bloc contre un autre 

« Par le passé, l’Uemoa a déjà connu des conflits bilatéraux, entre le Mali et le Burkina Faso par exemple, mais pas ce que l’on observe aujourd’hui, à savoir un bloc contre un autre », expose Patrick Guillaumont, président de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) et bon connaisseur de la zone franc.

Fondée en 1994, au moment du cataclysme monétaire de la grande dévaluation du F Cfa, et ayant déjà traversé de nombreuses crises (guerre civile puis crise post-électorale ivoirienne entre 2002 et 2011, troubles au Togo en 2005, violences et coups d’État au Niger en 2009, au Mali en 2012), l’Union traverse une situation inédite. 

En réponse aux coups d’État en série, la Cedeao a effet imposé des sanctions, reprises à son compte par l’Uemoa dans le cas du Mali puis du Niger, qui ont mis au ban de l’organisation Bamako durant un an et qui excluent actuellement Niamey. 

Adoptées en défense de l’ordre constitutionnel et de la sécurité, elles sont toutefois largement critiquées, par les régimes incriminés mais aussi par de nombreuses voix issues du camp opposé. 

Partisans de l’intégration régionale, d’aucuns se montrent ainsi réticents à voir une union économique et monétaire jouer un rôle politique. « Ces sanctions constituent un détournement des objectifs et missions de l’organisation », pointe ainsi le Malien Mossadeck Bally, fondateur du groupe hôtelier Azalaï.

Instabilité 

Cette situation fragilise l’action de l’Uemoa. À l’heure où l’organisation doit faire aboutir deux dossiers clés, l’adoption d’un nouveau pacte de convergence et la création d’une monnaie commune ouest-africaine, les tensions entre les pays ralentissent de fait les discussions. 

Dans le même temps, les sanctions, en asphyxiant l’économie nigérienne et en ayant mis sous pression les finances publiques maliennes, pénaliseront la croissance des deux pays, pèseront sur les performances de l’ensemble de la zone et compliqueront le processus d’harmonisation en cours.

Ces sanctions, en touchant en premier lieu l’économie formelle – le secteur informel trouvant toujours des moyens de les contourner – vont aussi à l’encontre des efforts de l’Uemoa pour formaliser les économies afin d’augmenter les recettes des États, déplore Mossadeck Bally. Sans oublier la nécessité de gérer l’instabilité créée, au sein même de l’organisation, par le contexte politique. 

La présidence de l’Uemoa, assurée par le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et interrompue par son renversement en janvier 2022 , est revenue à partir de la fin de cette même année, et après d’âpres négociations, au Nigérien Mohamed Bazoum, lui-même renversé en juillet dernier. 

Depuis, l’organisation se retrouve sans président en exercice quand son conseil des ministres, qui aurait dû être piloté par le Burkina Faso à partir de la fin de 2022 en vertu de la règle de direction tournante, est présidé par la Côte d’Ivoire…

Boucliers anti-crises

 Malgré ces difficultés et tensions, personne ne croit à une implosion de l’Uemoa. « La situation économique internationale est telle qu’aucun des pays membres, pas même le poids lourd ivoirien, ne pourrait absorber une crise de l’organisation », souligne le professeur d’économie bissau-guinéen Carlos Lopes. 

L’Uemoa, dont la monnaie est arrimée à la devise forte qu’est l’euro et dont la politique monétaire est axée sur la lutte contre l’inflation, joue un rôle de bouclier face aux crises à répétition et à la flambée des prix observée au niveau mondial.

En garantissant une stabilité économique et en imposant une discipline budgétaire, elle a assuré, ces dernières années, les conditions de l’essor de ses membres : un taux de croissance moyen de 6 % sur les sept ans précédant la crise du Covid-19 ; une inflation inférieure à 3 % jusqu’en avril 2021 et qui, même en hausse aujourd’hui, demeure en-deçà de celle des voisins ghanéen et nigérian comme de la moyenne de l’Afrique subsaharienne ; une solidité des réserves de change ; l’accès, via le marché financier régional, à un endettement à des conditions favorables. 

Autant d’avantages qu’aucun des deux camps, exécutifs orthodoxes et régimes militaires, ne souhaite perdre.

« Les premiers défendent le support de la transformation de leur économie, les seconds, dans une situation sociopolitique difficile et aux importants besoins de financement, ne peuvent se permettre de quitter la zone », reprend l’ancien secrétaire exécutif la Commission économique pour l’Afrique (Cea).

Difficile convergence

Les défis auxquels est confrontée l’organisation panafricaine restent néanmoins nombreux. Si jusqu’au Covid-19, celle-ci est parvenue à faire converger la trajectoire de ses membres, pays côtiers comme ceux de l’hinterland, cette tâche s’annonce désormais bien plus ardue.

Le taux d’application des textes communautaires n’a certes cessé de progresser – il est passé de 43 % en 2014 à 75 % en 2022 –, mais l’organisation a dû suspendre en 2020 l’application de son pacte de convergence, lequel imposait le respect de trois principaux critères (inflation limitée à 3 %, dette publique inférieure à 70 % du Pib (Produit intérieur brut) et déficit public en dessous de 3 % du Pib), afin de répondre aux besoins créés par la pandémie.

Depuis, un suivi semestriel est maintenu, en attendant la finalisation, prévue au plus tard à la mi-2024, d’un nouveau texte qui doit reprendre les principes du précédent tout en ouvrant la possibilité de dérogation dans le respect des critères en cas de choc. 

« Cette flexibilité sera très encadrée », souligne Abdoulaye Diop, le président de la Commission de l’Uemoa, instance exécutive de l’organisation. Entre prise en compte des cas particuliers et engagement à harmoniser la zone, l’équilibre sera difficile à trouver.

« Si en raison des sanctions ou d’une crise, l’inflation monte en flèche dans certains pays mais pas dans les autres, comment calibrer une politique monétaire commune ? », interroge Aroni Chaudhuri, économiste spécialiste de l’Afrique au sein de l’expert en assurance-crédit Coface.

Les sanctions en question

Et ce n’est pas le seul enjeu de gouvernance auquel l’Uemoa doit faire face. Pour nombre d’observateurs, elle ne peut faire l’économie d’une discussion sur les sanctions-sujet ô combien délicat. Si l’imposition de « mesures négatives » figure dans le traité fondateur de l’organisation, elles ne sont mentionnées qu’en cas de non-respect des règles économiques.

Les décisions récentes en la matière résultent donc de facteurs politico diplomatiques : les huit membres de l’Uemoa appartiennent aussi à la Cedeao, institution plus large réunissant quinze membres-avec le géant qu’est le Nigeria, en plus du Ghana, du Liberia, de Cap-Vert, de la Guinée, de la Gambie et de la Sierra-Leone-et au sein de laquelle les chefs d’État décident de sanctions.

Une configuration qui impose à l’Uemoa, 130 millions d’habitants contre 401 millions pour la Cedeao (chiffres 2020), de s’aligner. 

Alors que de plus en plus de voix appellent l’organisation à en finir avec cette situation de suivisme et à laisser la politique à la Cedeao pour se concentrer exclusivement sur l’action économique, Carlos Lopes, par exemple, invite à placer le débat sur le plan technique afin de définir « des règles d’imposition claires » et « différents régimes de sanctions », seul moyen d’éviter les crispations et errements des derniers mois. « Les lignes vont bouger, il n’y a pas d’autre choix », avance pour sa part un ministre de la zone, quand bien même aucune discussion officielle sur le sujet n’est annoncée.

Inévitables réformes 

Bien que l’Uemoa soit unanimement saluée pour son rôle protecteur et intégrateur, la situation actuelle doit la conduire à redoubler d’efforts sur le volet catalyseur du développement. En attendant de pouvoir présenter à nouveau un front uni, seule solution pour peser face à la Cedeao, l’Union n’a pas d’autre choix que d’asseoir sa légitimité en renforçant son efficacité.

Sur ce plan, la commission de l’Uemoa insiste sur le fait que tous les organes et institutions de l’organisation, dont la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) et la Banque ouest-africaine de développement (Boad), déroulent d’ambitieux plans d’actions en dépit des contingences politiques, comme en témoigne le maintien du rythme d’adoptions de réglementations, de tenues de réunions, de lancements de projets et de décaissements associés.

Reste à savoir si cela se révèlera suffisant, l’Uemoa étant en outre attendue au tournant sur sa capacité à mener des réformes et à se réformer elle-même.

« Un signal fort consisterait à avancer, sans attendre la Cedeao, sur le dossier de la monnaie commune », avance Carlos Lopes, qui cite « la fixation du taux de change à appliquer à la future nouvelle devise et des lieux d’impression des billets au sein de la zone » comme « deux décisions techniquement faisables et sans danger ».

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Et ce n’est pas le seul chantier ouvert. Si le président béninois Patrice Talon plaide pour une révision en profondeur des outils et règles de l’Union, dont la répartition des postes par nationalité, d’autres parties prenantes, et notamment des banquiers, appellent, eux, à assouplir la politique monétaire anti-inflation afin de faciliter l’injection de liquidités dans l’économie et, in fine, le financement du développement.

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