L’émotion suscitée par le décès d’Henri Konan Bédié, le 1er août, est désormais doublée d’une incertitude quant à l’avenir du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). Après la trêve observée pour les locales du 2 septembre, la bataille pour la succession du « Sphinx de Daoukro » a débuté. Mais plusieurs questions doivent encore être tranchées avant de procéder à l’élection de son remplaçant.
Faut-il organiser ce scrutin avant ou après les obsèques de Bédié, qui devraient avoir lieu entre les mois d’avril et de mai 2024 ? Même si rien n’est encore figé, de nombreux cadres du parti estiment qu’il faut d’abord enterrer le chef avant d’en choisir un nouveau, comme cela se fait dans la coutume baoulé.
Le président par intérim, Alphonse Cowppli-Bony Kwassy, s’en est d’ailleurs ouvert à ses visiteurs du soir : il ne voudrait pas enjamber le corps de son ami pour organiser l’élection. Mais cette position pourrait poser la question du respect des textes.
L’intérim, débuté le 2 août, est censé ne durer que six mois.
« Cette question sera soumise à l’analyse de la cellule de veille juridique du parti. L’éclairage réalisé conduira à des décisions politiques », confie à Jeune Afrique, un poids lourd du Pdci selon lequel, au vu des « circonstances exceptionnelles », quelques mois de « glissement » ne devraient pas causer de soucis.
D’autres estiment au contraire que l’élection du nouveau président constitue une « urgence ». « Notre parti est en déliquescence. Si nous perdons du temps, nous perdons des militants. Il faut leur envoyer un signal fort avec un nouveau président qui va insuffler une nouvelle dynamique, et non se perdre dans d’interminables discussions », insiste Jean-Michel Amankou, le député d’Agnibilékrou.
Quelle date pour le prochain congrès ?
Le président par intérim devra donc œuvrer à maintenir la cohésion de ses troupes et trouver une date consensuelle pour le prochain congrès. Alors que des inquiétudes avaient émergé lors de sa désignation, il a su rassurer les cadres au fil du temps.
L’un d’eux confie : « Le président a rencontré les structures pour se présenter et rappeler sa mission qui est d’organiser l’élection d’un successeur. Il n’est pas là pour une ambition personnelle, même si rien ne précise que l’intérimaire n’a pas le droit de se présenter. On le considère comme un doyen. Nous devons l’accompagner afin qu’il réussisse sa mission ».
Kwassy a convoqué un bureau politique à la maison du parti, à Cocody, pour le 14 octobre. L’occasion de trancher sur le délai retenu pour le choix du nouveau président.
En attendant, un discret bal des prétendants a déjà commencé en coulisses. Même si Bédié a souvent été critiqué pour ne pas avoir vraiment formé de successeur, certains se veulent rassurants.
« Il a préparé des cadres et fait émerger des figures en créant de nouvelles cellules et en réorganisant le parti. Grâce à cela, on peut compter sur au moins une trentaine de personnes capables d’assumer la responsabilité du parti », confiait en août son porte-parole, Soumaïla Bredoumy Kouassi.
Guikahué toujours là…en embuscade
Pour l’heure, personne ne se dit ouvertement intéressé par la direction du Pdci. Tous attendent prudemment l’appel à candidatures qui sera lancé avant l’élection. Mais déjà, des noms d’ambitieux émergent et leurs états-majors se préparent.
Selon nos informations, l’entourage du secrétaire exécutif en chef du président, Maurice Kakou Guikahué, travaille déjà à le faire élire au sommet de la formation.
Certains des anciens camarades de ce dernier au sein du Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (Meeci) forment un bloc solidaire autour de lui.
Resté à son poste pendant l’intérim de la présidence, Guikahué a la main sur la gestion quotidienne du parti. En 2018, il faisait partie de ceux qui ont refusé la fusion du Pdci avec le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Réputé proche du terrain, il a permis l’ascension de plusieurs personnes qui lui sont toujours fidèles.
Il a, par exemple, longtemps géré les délégations, maillon essentiel du Pdci à travers le pays, avant que celles-ci ne passe dans le giron de son adjoint, Georges Philippe Ezaley, en novembre 2021. Lors de l’élection du président du parti, avoir les délégués de son côté sera un atout majeur. Mais ses années de gestion aux côtés de l’ancien patron sont à double tranchant.
Si elles lui ont conféré une certaine autorité sur la formation, elles le mettent aussi sur la sellette, car beaucoup souhaitent un changement de leadership. Lors du congrès ordinaire qui devait initialement se tenir mi-octobre, il aurait dû être solidaire du bilan de Bédié.
Avec la disparition du « Sphinx », il apparaît désormais comme le principal garant d’une certaine continuité. Or, au lendemain des résultats mitigés aux locales de septembre dernier, des interrogations sur les choix qui ont été faits à l’époque se font jour.
Certains tiennent également Guikahué pour responsable du fiasco de la présidentielle de 2020 et de l’échec de la désobéissance civile – dossier pour lequel il est d’ailleurs toujours sous contrôle judiciaire.
Ces dernières années, il était au centre de tensions, exacerbées par les réformes menées par Bédié, qui ont conduit à des guerres de clans.
Critiqué par les députés qui souhaitaient voir un changement à la tête de leur groupe parlementaire après les législatives de mars 2021, Bédié avait tranché et désigné, à la surprise générale, son conseiller spécial, Simon Doho. Au fil du temps s’étaient déclarés dans l’entourage du président des conflits liés à sa succession.
L’hypothèse Bendjo
Un autre potentiel challenger sérieux est Noël Akossi Bendjo. Rentré d’exil en juillet 2021, l’ancien maire du Plateau et ex-directeur général de la Société ivoirienne de raffinage (Sir) a été nommé conseiller spécial de Bédié chargé de la réconciliation.
Mais sa condamnation par la justice ivoirienne à vingt ans de prison et à plus de 10 milliards de francs Cfa d’amende pour « détournements de fonds » demeure – ce qu’il considère, lui, comme une « mascarade ». En février, Bendjo avait secoué le parti en estimant que « le Pdci ne séduisait plus ».
Il avait également souhaité que Bédié prenne de la hauteur en devenant « le Mandela ivoirien » et qu’il confie la gestion quotidienne à une équipe.
Selon lui, il fallait apporter des changements au mode de fonctionnement du parti. Une posture qu’il avait déjà défendue dans les années 1990, lorsqu’il avait rejoint ceux qu’on avait surnommé les « rénovateurs ».
Un choix qui lui avait valu d’être éloigné des instances de décision du Pdci jusqu’en 2013, date à laquelle il y avait fait son retour par l’entremise de son épouse, proche du couple Bédié.
Malgré les différents échecs qu’il a enregistrés au fil des ans, Bendjo préfère souligner sa « cohérence » et sa fidélité à ses idées. Mais après une trentaine d’années à prôner le renouveau, peut-il aujourd’hui encore l’incarner ? Sa dernière sortie en février lui a valu des réponses virulentes dans les médias proches du parti.
Certains lui ont rappelé qu’il était également comptable, en tant que membre des instances dirigeantes de la structure, du bilan de Bédié. Ses déclarations ont également été interprétées comme celles d’un ambitieux qui cherche à remplacer le chef.
Des rumeurs le disant sur le départ pour rallier le Rhdp ont aussi terni son image et contribué à remettre en question sa fidélité, malgré ses démentis. Pour ses soutiens, il reste au contraire celui qui a osé s’exprimer alors que Bédié était toujours président.
« Nous avons besoin de quelqu’un de rassembleur et, à ma connaissance, il ne fait partie d’aucun des camps qui se battaient, explique Jean-Michel Amankou. Il a toujours eu un projet de réformes afin de rendre le parti plus conquérant. J’estime qu’il faut lui donner l’opportunité de les mettre en œuvre ».
Bendjo sort également renforcé des locales : les Ébriés, dans le sud de la Côte d’Ivoire, auprès desquels il jouit d’une réelle influence, ont en effet permis au parti de se maintenir, notamment à Abidjan.
L’influence des Baoulés Mais le socle électoral du parti reste les Baoulés. Grâce à leur fidélité, le Pdci conserve les régions de l’Iffou et du Bélier, dans le centre du pays. Dans le Bélier, l’ancien ministre Rémi Allah Kouadio fait partie des cadres dont la voix compte. Bédié lui avait confié le comité politique du parti et il est président de l’association des élus et cadres du Grand Centre. Il a par ailleurs battu le président du Sénat et figure du Rhdp, Jeannot Ahoussou-Kouadio, lors des sénatoriales en septembre.
Également influent dans le pays baoulé, bien que plus discret, Niamien N’Goran pourrait peser dans la lutte pour prendre les commandes du Pdci. L’ex-inspecteur général d’État et ancien ministre de l’Économie et des Finances était très proche de Bédié.
Vice-président de la formation, dont il est également le patron de l’inspection, il a présidé le comité d’organisation du 12e congrès du parti en 2013 et son comité électoral en 2016. D’autres candidats, plus discrets, pourraient également être tentés de se déclarer.
C’est le cas notamment d’Émile Constant Bombet, devenu coordinateur des vice-présidents après le décès du général Gaston Ouassénan Koné. Âgé de 82 ans, il fait partie des cadres influents du parti. Mais la demande de renouvellement générationnel pourrait le défavoriser.
Tanoh, Billon et Thiam en embuscade
Même si on le dit également intéressé, Thierry Tanoh n’affiche pas non plus ses ambitions. Bédié entretenait avec l’ancien ministre du Pétrole une relation quasi filiale.
Mais ce dernier pourrait être confronté à un obstacle de taille : pour être candidat à la présidence du parti, il faut avoir été membre du bureau politique sans discontinuer pendant dix ans.
Une condition qu’il ne remplit pas, de même que Jean-Louis Billon.
Si le député de Dabakala a toujours précisé qu’il voulait être candidat à la présidence de la République et non prendre la place de Bédié, la donne a depuis changé.
Pour d’autres comme lui, un président fraîchement élu et auréolé d’une légitimité nouvelle pourrait constituer un obstacle s’il se présentait à la convention.
« Certains se trouvent face à un dilemme. S’ils se présentent mais ne gagnent pas, ils enverront un mauvais signal pour la convention qui est pourtant leur objectif principal. Mais s’ils ne se présentent pas, le parti pourrait décider que son président doit être son candidat naturel », estime un poids lourd. Pour certains, la solution pourrait être d’interdire au futur président du Pdci d’être son candidat à la prochaine présidentielle.
« Après la génération Bédié, ce sont les gens de 70 ans qui doivent gérer la formation. Nous devons ensuite donner leur chance aux cinquantenaires et sexagénaires de porter les couleurs du parti à la présidentielle », glisse un député.
Faut-il alors prendre le risque de participer à la course ? À cette question, des proches de Tidjane Thiam répondent par l’affirmative et encouragent leur champion à briguer les deux. Membre du bureau politique du Pdci depuis les années 1990, Thiam a réglé ses arriérés de cotisations, préalable indispensable pour qui prétend diriger le parti. Lors de son dernier séjour en Côte d’Ivoire, après le décès de Bédié, l’ancien patron du Crédit suisse a multiplié les visites auprès de cadres du Pdci.
Il leur a notamment assuré qu’il se tenait à la disposition du parti et qu’il serait davantage présent au pays à partir de 2024. Un premier pas vers la présidentielle de 2025 ?