Voilà des semaines qu’ils patientent. Certains sont même là depuis des mois, agglutinés aux abords du fleuve Niger qui délimite ici la frontière entre le Niger et son voisin méridional, le Bénin.
En bordure de la petite commune de Malanville, dans l’extrême-nord du Bénin, des centaines de camions sont à l’arrêt, jalousement gardés par leurs conducteurs qui, faute de pouvoir avancer vers le Niger, cherchent un peu d’ombre sous leur véhicule.
Contrairement à ce qu’indiquent les marques d’usure de ces poids lourds, ce n’est pas l’âge qui cloue au sol ces camions, mais un bras de fer diplomatique.
Depuis août 2023, la frontière sud du Niger, qui sépare le pays du Nigeria et du Bénin, est fermée, conséquence des sanctions que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a imposées à Niamey au lendemain du putsch qui a renversé le président Mohamed Bazoum.
C’est de bonne guerre
Le Bénin a opté pour la fermeté et se dit « résolu à s’aligner scrupuleusement sur les décisions de la Cedeao », dont il est membre, comme l’explique un conseiller de Patrice Talon, le chef de l’État.
Résultat : les marchandises en provenance ou à destination de Niamey ne transitent plus par le port de Cotonou.
Une décision lourde de conséquences pour ce port marchand, dont l’activité représentait 60% du Pib du pays en 2020. Mais, à l’heure où les putschs se succèdent, « c’est le prix à payer », assure-t-on au palais de la Marina, la présidence béninoise.
Tout à sa volonté de « jouer collectif », l’entourage de Patrice Talon ne retient pas ses coups contre le voisin togolais. Depuis la fermeture des frontières avec le Niger, une partie des marchandises censées transiter par le Bénin aurait en effet bifurqué quelques kilomètres plus à l’ouest, traversant l’est du Burkina Faso, pour cheminer jusqu’au port togolais de Lomé.
« Le Togo et le Bénin sont engagés dans un éternel derby, et tout ce que Lomé peut faire pour désavantager Cotonou, il le fait. C’est de bonne guerre, et, aujourd’hui, cela se révèle payant pour le Togo, qui récupère un nombre important de marchandises que le port de Cotonou ne peut plus faire passer », résume un collaborateur de Patrice Talon dans des propos au confrère de ‘’Jeune Afrique’’.
L’exception togolaise
Dans ses relations avec les régimes militaires de Bamako, Ouagadougou et Niamey, le dirigeant togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, se démarque de ses pairs.
Là où les présidents civils de la Cedeao bombent le torse, avec plus ou moins de succès, lui privilégie le dialogue avec les putschistes et fait tout à la fois office de médiateur, de partenaire et de conseiller pour les chefs d’État en treillis. Ce que Cotonou ne voit pas d’un bon œil.
Dans la région, l’animosité entre Faure Essozimna Gnassingbé et Patrice Talon est un secret de polichinelle.
Au point que, dans leur entourage, certains aiment à rappeler un accrochage survenu, il y a quelques années, à l’occasion d’un huis clos à la Cedeao, au cours duquel le président togolais avait pris ombrage d’une remarque de son voisin sur la corruption au sein de la police dans la région.
Si elle se traduit avant tout sur le plan économique, la concurrence entre les deux pays est aujourd’hui exacerbée par le contexte diplomatique. Face à la vague putschiste qui a déferlé sur la région depuis 2020, Lomé s’est posé en conciliateur.
Au plus fort de la crise qui a opposé le Malien Assimi Goïta à l’Ivoirien Alassane Ouattara, Faure Essozimna Gnassingbé et son ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, ont multiplié les missions de bons offices afin de négocier la libération de 49 soldats ivoiriens détenus à Bamako.
Rendez-vous en catimini
Un costume de médiateur que le président togolais a décidé d’enfiler à nouveau après le coup d’État du 26 juillet au Niger. Le Bénin et le Nigeria ont bien tenté de discuter avec le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp). Sans succès.
Là encore, le Togo a été le seul à maintenir le dialogue avec les tombeurs de Mohamed Bazoum, qu’il a rencontré à de nombreuses reprises.
« Notre position est d’éviter d’exclure un certain nombre de pays de la Cedeao. Il faut prôner le dialogue avec tous afin de trouver une solution. La diplomatie togolaise cherche à concilier les extrêmes et à trouver des voies de sortie [de crise] », confiait Robert Dussey à Jeune Afrique en octobre dernier, à l’occasion d’un Forum pour la paix et la sécurité́, à Lomé, auquel étaient conviés les représentants de tous les régimes putschistes.
À trop vouloir ménager la chèvre et le chou, le Togo est soupçonné par ses voisins de jouer double-jeu.
« Alors que la Cedeao tentait d’établir une médiation avec la junte nigérienne, les autorités togolaises ont multiplié les rendez-vous en catimini pour servir leurs propres intérêts au détriment de ceux de la Cedeao », peste un collaborateur de Patrice Talon.
« Lors de ces rencontres, il a été question des modalités de la transition, et non seulement de demander au Togo de jouer les intermédiaires auprès de plusieurs partenaires – Chinois et Turcs notamment –, mais aussi de trouver une nouvelle route aux marchandises qui auraient dû arriver par le port de Cotonou », résume, « en off », un participant à l’une de ces rencontres.
La Cédéao fragilisée
En substance, à Cotonou, on craint que « la stratégie de Lomé ne vise pas seulement à servir ses propres intérêts, mais bien à fragiliser la Cedeao ». En perte de crédibilité et d’influence dans la région, l’organisation ouest- africaine joue sa survie dans la gestion qu’elle fera des transitions militaires et dans sa capacité à rétablir l’ordre constitutionnel.
« Faure a parfaitement conscience que, outre les bénéfices économiques et sécuritaires qu’il peut retirer d’une relation apaisée avec ses voisins putschistes, il a tout à gagner à voir une Cedeao affaiblie, notamment sur la question de la limitation du nombre des mandats présidentiels », confie un ancien conseiller du chef de l’État togolais.
Réélu en 2020, et alors que rien n’indique qu’il n’aspire pas à un cinquième quinquennat, Faure Essozimna Gnassingbé est en décalage avec la Cédéao, qui, dans ses débats internes, envisage d’imposer à ses États membres une limitation (à deux) du nombre des mandats présidentiels.
« Plus il y a de régimes putschistes en Afrique de l’Ouest, moins le Togo fait office de mauvais élève, et ce même si Faure Gnassingbé brigue encore un ou plusieurs mandats. S’il n’y avait, en revanche, que des présidents démocratiquement élus dans la région, comment serait perçu un régime qui est aux mains de la même famille depuis 1967 ? » s’interroge un diplomate ouest-africain, qui cite le cas de Gnassingbé Eyadéma, le père de l’actuel président, qui a dirigé le Togo pendant trente-huit ans.