Le 18 octobre au soir, Mohamed Bazoum est, comme chaque jour, en communication avec ses proches par téléphone. Étrangement, les putschistes du général Abourahamane Tiani, qui ont été jusqu’à lui restreindre l’accès à l’électricité ou à lui imposer un régime alimentaire plus drastique, lui ont en effet laissé la possibilité de communiquer avec l’extérieur.
Le président déchu en profite donc. Il s’entretient avec des connaissances, commente l’actualité du pays, assure à ses interlocuteurs qu’il tient bon et qu’il ne souhaite toujours pas démissionner.
Soudain, la conversation coupe
Ce mercredi donc, la soirée touche à sa fin à Niamey. Depuis l’étranger, des proches de Mohamed Bazoum prennent une énième fois des nouvelles de lui, de son épouse et de son fils également détenus depuis le coup d’État du 26 juillet. Rien, dans la conversation, ne diffère des jours précédents. Vers 23 heures, il annonce que, fatigué, il va se coucher.
La conversation se poursuit sans lui puis elle coupe. Les interlocuteurs tentent de rappeler Niamey et de rétablir la communication. Sans succès. Il est environ minuit. À partir de cet horaire, la réalité se confond, peut-être, avec la fiction.
Mohamed Bazoum se préparait-il à tenter de s’enfuir de la résidence présidentielle au sein de laquelle il est retenu depuis près de trois mois ? Selon la version donnée par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp, junte au pouvoir), le président déchu aurait essayé de s’évader « vers trois heures du matin », le 19 octobre donc, « accompagné de sa famille, de ses deux cuisiniers et de deux éléments de sécurité ».
L’information est, pour l’heure, impossible à vérifier de manière indépendante. Mohamed Bazoum a-t-il réellement tenté de déjouer la vigilance de ses gardes ?
La résidence dans laquelle il est détenu dans l’enceinte du palais présidentiel est évidemment sous haute surveillance, au point qu’il est difficile d’imaginer l’homme le plus scruté de Niamey et une suite de six personnes se faufiler, même à la faveur de la nuit, et s’enfuir sans se faire remarquer par une garde présidentielle – un corps d’élite – aux aguets. La junte ne précise pas à quel moment le prétendu fugitif aurait été rattrapé.
Selon la version communiquée dans la nuit du 19 au 20 octobre, Mohamed Bazoum devait rejoindre un « point de récupération aux abords du palais présidentiel ». Il aurait alors dû monter dans « un véhicule banalisé », lequel devait le conduire, ainsi que ses co-évadés, « à une planque au quartier Tchangarey, à la périphérie nord de la ville de Niamey ».
Un trajet de 10 kilomètres pour une durée d’environ vingt minutes, en passant devant le stade Seyni Kountché et l’École de la gendarmerie nationale. Fiction ou réalité ? Dans la matinée du 19 octobre, la garde présidentielle a effectivement pris d’assaut une résidence du quartier Tchangarey, laquelle appartiendrait à un « haut gradé », selon certaines sources.
Une exfiltration vers le Nigeria ?
Les images de véhicules blindés déployés aux abords de cette villa ont alors circulé sur les réseaux sociaux et plusieurs arrestations auraient été effectuées lors de l’opération. S’agissait-il de complices de Mohamed Bazoum ? La junte au pouvoir l’affirme mais n’a, pour le moment, donné aucune précision au sujet des personnes interpellées.
Dans son communiqué, elle affirme cependant que le président déchu aurait prévu, « à partir de cette planque », de prendre place dans « deux hélicoptères appartenant à une puissance étrangère ». Ces appareils étaient, toujours selon les putschistes, censés « les exfiltrer à Birnin Kebbi, au Nigeria ».
Soit un trajet de 250 kilomètres environ, pour une durée d’une heure, en survolant la région de Dosso.
D’où étaient supposés venir ces hélicoptères ? Étaient-ils déjà stationnés dans les environs de Niamey, attendant leurs précieux passagers ? Auraient-ils été repérés aux alentours de la capitale ? Comment auraient-ils déjoué la surveillance aérienne, à l’aller comme au retour ? Qui est cette « puissance étrangère » ? La France, souvent pointée du doigt et dont les services de renseignements scrutent Niamey de près ? Le Nigeria, dont les forces spéciales de l’armée de l’air sont reconnues pour leurs capacités de commando ?
Autant de questions sans réponse à l’heure actuelle. « La prompte réaction des forces de défense et de sécurité a permis de déjouer ce plan de déstabilisation de notre pays », se borne à expliquer la junte, saluant « le professionnalisme et le sang froid » des forces de défense, « qui ont permis de préserver des vies et ce en dépit de l’attitude irresponsable du président déchu et de ses complices ». Dès lors, où en est Mohamed Bazoum, en ce 20 octobre ?
Nouvelle ligne rouge...
Le président déchu s’est vu retirer son téléphone et toute possibilité de communiquer avec l’extérieur, comme il en avait l’habitude. Il n’a donc pu être joint par ses proches depuis leur dernier échange de la fin de la soirée du 18 octobre.
Il aurait également été isolé : son épouse et son fils auraient été déplacés vers un autre lieu de détention, mais toujours dans l’enceinte du palais présidentiel. Contacté dans la soirée du 19 octobre, le Premier ministre de la junte, Ali Lamine Zeine, affirmait toutefois n’avoir « pas eu connaissance de leur déplacement de la résidence ».
Les proches de Mohamed Bazoum affirment qu’il n’a jamais eu l’intention de s’évader et, si tel était le cas – qu’il ne s’en était pas ouvert à ses interlocuteurs. « Nous rejetons énergiquement ces accusations montées de toutes pièces », a déclaré Mohamed Seydou Diagne, coordinateur de son collectif de défense, qui affirme que son client est désormais détenu « au secret ».
« C’est une nouvelle ligne rouge qui a été franchie par une junte qui continue à violer les droits fondamentaux de notre client. Elle aura à répondre de ses actes », a-t-il ajouté.
« Non seulement les autorités militaires doivent nous apporter la preuve que le président Bazoum et sa famille sont bien en vie, mais surtout elles doivent les libérer immédiatement », a ajouté Reed Brody, avocat membre du collectif. Cette présumée tentative pourrait marquer un tournant dans la détention du président déchu, dont l’obstination à ne pas s’avouer vaincu est une épine dans le pied de la junte. S’achemine-t-on vers un procès ?
Le Cnsp assure avoir déjouer un « plan de déstabilisation » et, mi-août, il avait affirmé son intention de poursuivre Mohamed Bazoum pour « haute trahison et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du Niger ».
Ce 19 octobre sonne-t-il le début d’une résolution « judiciaire » du problème Bazoum ? Réelle ou non, la tentative d’évasion offre une porte de sortie au Cnsp, fragilisé par des dissensions internes et par les sanctions de la Cedeao. « La junte sait que son unité et le soutien de la population ne tiennent qu’à une chose : un ennemi commun, la France et la Cedeao.
En les présentant comme les complices de Bazoum, elle fait d’une pierre deux coups : jouer sur la fibre nationaliste et régler le problème de l’ex-président », conclut un ancien ministre.