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Cameroun : ce que révèle l’étude des téléphones sur l’affaire Martinez Zogo, le journaliste assassiné

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Le journaliste Cameroun Martinez Zogo.
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Un confrère de Jeune Afrique a pris connaissance du rapport d’expertise qui a notamment amené la justice militaire à faire de Martin Savom, le maire de la ville de Bibey, l’une des pièces centrales du puzzle. Plus d’explications.

Son nom est apparu tel un cheveu sur la soupe. C’est près d’un an après le début de l’enquête sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, en janvier 2023 à Yaoundé, que l’opinion publique a pour la première fois entendu parler de ce magistrat municipal.

Alors que le procès des accusés s’est ouvert le 25 mars dernier, Jeune Afrique a pu retracer la manière dont le maire de Bibey, une petite localité de la région Centre du Cameroun, s’est retrouvé au cœur de l’affaire.

De Bell Bitjoka à Jean-Pierre Ouloumou

Si Martin Savom est aujourd’hui dans la lumière, c’est à cause d’un document qui a permis d’écarter plusieurs pistes et en a fait apparaître d’autres : le rapport rendu par Jean-Pierre Ouloumou, expert en cybercriminalité. Un rapport riche d’enseignements. Petit retour en arrière.

Martinez Zogo est enlevé le 17 janvier 2023. Son corps supplicié est retrouvé cinq jours plus tard, le 22 janvier, en périphérie de la capitale camerounaise.

Le juge d’instruction Sikati II Kamwo se voit confier l’affaire au mois d’avril. Le dossier dont il hérite alors comprend, outre les procès-verbaux d’audition et les pièces à conviction, une analyse de plusieurs appareils électroniques, dont deux des téléphones de Jean-Pierre Amougou Belinga, l’un des principaux suspects, et un disque dur.

Ce document est signé non pas par Jean-Pierre Ouloumou mais par Bell Bitjoka, le premier expert en cybercriminalité mis sur l’affaire. Ce sont les enquêteurs de la commission d’enquête mixte police-gendarmerie qui ont fait appel à ses services.

Sa principale mission était de vérifier les liens éventuels entre Amougou Belinga, désigné comme le commanditaire de l’assassinat de Martinez Zogo, et Justin Danwe, cerveau du commando qui l’a enlevé.

Après avoir pris connaissance de ce rapport, le juge Sikati II Kamwo estime que le travail confié à Bell Bitjoka doit encore être approfondi. Certains numéros de téléphone ne lui paraissent pas avoir été suffisamment exploités.

C’est là que Jean-Pierre Ouloumou entre en piste. Lorsqu’il se met à la tâche, cet enseignant-chercheur au Centre de recherche et de documentation (CRD) de l’École internationale des forces de sécurité (EIFORCES) se concentre donc sur la quête « d’autres responsables et faits » et sur la piste « d’un second commando ».

À couteaux tirés avec Amougou Belinga

Pour se faire, il va passer au peigne fin l’ensemble des équipements électroniques saisis dans le cadre de l’affaire : 24 smartphones, 8 téléphones GSM, 2 tablettes et 1 téléphone satellitaire – de la marque Thuraya. Il décide de s’intéresser à la période allant de décembre 2022 (c’est à ce moment-là qu’a débuté la filature de Martinez Zogo) à janvier 2023.

Et les téléphones de la victime, présentateur de l’émission « Embouteillage » sur Amplitude FM, réserveront quelques surprises.

Les échanges retranscrits par les enquêteurs confirment d’abord que Martinez Zogo et Amougou Belinga étaient à couteaux tirés.

On apprend également que deux personnes ont tenté de les réconcilier, en demandant à l’animateur de tempérer les propos qu’il tient publiquement dans son émission.

 Le 1er juin 2022, Chantal Ayissi, une artiste de la diaspora, lui demande ainsi via l’application WhatsApp de « [laisser] le zomloa des zomlo’o tranquille ». « C’est Amougou Belinga qui m’a envoyé en prison, ma chère sœur Chantal, lui répond sèchement Martinez Zogo. Est-ce que c’est normal ? ».

 « Eko Eko n’est pas impliqué » dans l’affaire

Nyassa Soleil, homme de média et ancien membre du comité exécutif de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), n’a pas plus de succès.

« Tu attaques [Louis-Paul] Motaze [ministre des Finances] et Amougou. Laisse les miens, petit frère », écrit Nyassa le 1er novembre 2022.

L’animateur fulmine : « Quand je pense que je soutenais Amougou Belinga, et il me poignarde dans le dos. »

L’étude de ses téléphones révèle aussi qu’il écrivait très régulièrement à un contact enregistré sous le nom « Épouse SGPR ».

 Les échanges témoignent d’une proximité entre les deux interlocuteurs. « Bonsoir la maman, dit à papa que s’il fait confiance au ministre des sports, qu’il fasse attention », écrit Martinez Zogo, le 5 janvier 2023.

« Merci pour ton bon travail mon fils », lui répond-on. Les conversations sont moins chaleureuses avec un deuxième contact, enregistré sous le nom « SG/PR F Ngoh Ngoh ».

Lui ne répond presque jamais. Martinez Zogo converse aussi quelques fois avec un numéro appelé « Oswald Baboké whatsApp » (Oswald Baboké est le directeur adjoint du cabinet civil du chef de l’État) ; mais là encore, les échanges restent assez formels. Martinez Zogo lui donne du « monsieur le ministre », et ce dernier le vouvoie.

Jean-Pierre Ouloumou s’est également intéressé au contenu des téléphones de l’ex-patron de la Direction générale du renseignement extérieur (DGRE), Léopold Maxime Eko Eko.

Accusé par Justin Danwe d’être celui qui a ordonné l’opération contre Martinez Zogo, Eko Eko a toujours nié avoir eu connaissance de ce qui se tramait.

D’après les transcriptions de ses conversations, ce n’est que le 28 janvier qu’il commence à faire le lien entre l’arrestation de plusieurs de ses agents et la disparition de Martinez Zogo.

Une découverte qu’il s’empresse de partager avec certains de ses contacts, dont « Me Ndi », ancienne directrice des affaires générale de la DGRE, et Galax Etoga, secrétaire d’État à la Défense. L’expert en conclut que « les activités relevées dans les téléphones de M. Eko Eko ne montrent pas son implication » dans ce qui s’est passé.

Un même numéro, deux noms

C’est l’analyse des derniers échanges téléphoniques de la victime qui s’avèrera la plus fructueuse. À 19 h 54 le 17 janvier 2023, soit quelques minutes avant qu’il ne soit enlevé devant la gendarmerie de Nkol Nkondi, Martinez Zogo passe un coup de fil.

Son interlocuteur est enregistré sous le nom « Savom maire », et le numéro appartient à Martin Savom, maire de Bibey. Ce qui attire l’attention des experts, c’est que le même contact figure dans le téléphone de Justin Danwe, où il est enregistré sous le nom « Martin Essouma ».

Ce personnage, qui a travaillé à la présidence en 2012, est réputé être un proche du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngog Ngoh.

Les téléphones de Justin Danwe ayant subi « des traitements modificatifs et des effacements qui les ont rendus quasi-inexploitables », Jean-Pierre Ouloumou va recommander que soient étudiés les communications et les mouvements de Martin Savom le jour des événements…

Ce que le juge Sikati II Kamwo, dessaisi de l’affaire en décembre 2023, n’aura pas le temps d’ordonner. Après son départ, l’expertise engagée par Jean-Pierre Ouloumou sera de nouveau confiée à Bell Bitjoka, le premier expert qui avait été mandaté.

 Et c’est lui qui va finalement démontrer que non seulement Martin Savom était à Yaoundé le jour du rapt de Martinez Zogo, mais aussi qu’il s’est rendu dans une banque et qu’il a échangé et rencontré Justin Danwe à plusieurs reprises les semaines précédentes.

C’est sur cette base que le nouveau juge d’instruction, Pierrot Narcisse Nzié, l’a formellement inculpé pour « complicité d’assassinat ». Ce rapport d’expertise pourrait être utilisé par les avocats de la défense.

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Serait-il reversé au dossier ? Les différentes parties le sauront le 29 avril prochain, date à laquelle le tribunal devra communiquer aux avocats l’ordre d’accès à la totalité du dossier, en préambule à l’ouverture des débats annoncée pour le 6 mai.

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