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Afrique de l’Ouest : Au Sénégal, Bassirou Diomaye Faye et le casse-tête d’une cohabitation à la durée incertaine

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Bassirou Diomaye Faye, le nouveau président du Sénégal continue de faire parler de lui à cause de ses deux épouses. (Ph: Dr).
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Bassirou Diomaye Faye, le nouveau président, et Ousmane Sonko, son Premier ministre, minoritaires à l’Assemblée, doivent s’assurer une victoire confortable à l’occasion de probables législatives anticipées. Reste à savoir quand celles-ci auront lieu.

Malgré le « coup K-.O » qu’il a infligé à Amadou Ba, son principal adversaire, et aux autres candidats en lice lors de la présidentielle du 24 mars, le nouveau président sénégalais n’en a pas pour autant remporté une victoire totale.

Au sein de l’Assemblée nationale, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) ne disposent en effet que de 23 députés sur 165. S’ils peuvent en principe compter sur le soutien des 11 députés du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR), et peut-être aussi sur celui des 26 élus du Parti démocratique sénégalais (Pds), lequel, selon notre confrère de ‘’Jeune Afrique’’,  a appelé à voter en faveur du candidat de Pastef à 48 heures du premier tour, voire sur le ralliement de l’infime fraction des non-inscrits (3 députés), ils ne disposent pas, sur le papier, de la majorité absolue dont ils auront besoin pour gouverner et mettre en œuvre « le Projet » qui leur tient lieu de feuille de route .

 Un constat d’autant plus problématique qu’une réforme constitutionnelle leur serait indispensable pour mettre en œuvre certaines des mesures phares annoncées par le président, Bassirou Diomaye Faye, et par Ousmane Sonko , son Premier ministre. Or celle-ci devrait alors faire l’objet soit d’un référendum soit d’un vote à la majorité des 3/5e à l’Assemblée nationale (soit 99 députés).

Bassirou Diomaye Faye bloqué pour le moment

Après leur victoire écrasante dès le premier tour de la présidentielle, les Patriotes n’ont guère de raisons d’appréhender un trou d’air électoral si les prochaines législatives se tiennent dans un délai raisonnable – l’état de grâce dont bénéficie un nouveau président pouvant s’avérer d’une durée précaire.

 Lors des deux précédentes alternances, en 2000 et en 2012, Abdoulaye Wade puis Macky Sall avaient ainsi profité d’un raz-de-marée en leur faveur lors des législatives qui avaient suivi leurs victoires respectives à la présidentielle. Pour les nouveaux gouvernants, une contrainte complique toutefois la donne. Au Sénégal, le président de la République ne peut en effet dissoudre l’Assemblée au cours des deux années qui suivent l’entrée en fonction de celle-ci, en l’occurrence, cela sera possible à partir du 13 septembre 2024.

Qui plus est, de nouvelles élections ne peuvent se tenir que « 60 jours au moins et 90 jours au plus » après la promulgation d’un décret de dissolution signé par le chef de l’État.

Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko devront donc composer avec une Assemblée nationale dans laquelle leur parti et ses alliés seront minoritaires sur le papier tout du moins – jusqu’en novembre 2024 dans le meilleur des cas.

Une situation qui ne manque pas de piquant quand on se souvient qu’en juillet 2023, au lendemain du Dialogue national qui s’était déroulé en juin, le président Macky Sall avait lui-même envisagé de proposer à l’Assemblée nationale, lors d’une session extraordinaire convoquée pour l’occasion, un projet de loi faisant sauter ce verrou constitutionnel – ce qui aurait permis au nouveau chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale sans contrainte aucune.

Dénonçant alors, par la voix de Guy Marius Sagna, « un tripatouillage constitutionnel », les députés de Pastef avaient voté contre ce texte. Ceux de Taxawu Sénégal, le parti de Khalifa Sall leur avaient emboîté le pas.

Yewwi Askan Wi affaibli

À la même période, la scission entre ce parti (qui compte 13 députés) et celui de Bassirou Diomaye Faye avait entraîné un affaiblissement de la coalition Yewwi Askan Wi, qu’ils avaient formée lors des élections locales de janvier 2022 puis des législatives du mois de juillet suivant.

« Depuis, les relations entre Pastef et Taxawu Sénégal sont exécrables », constate un opposant qui n’est membre d’aucun de ces deux partis. Autre obstacle à une dissolution rapide de l’Assemblée nationale, la contrainte liée à l’adoption de la loi de finances.

« Le projet de loi de finances de l’année, qui comprend notamment le budget, est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le jour de l’ouverture de la session ordinaire unique », prévoit la Constitution.

En d’autres termes, le calendrier de cet épisode parlementaire incontournable s’étire généralement du mois d’octobre au mois de décembre. Un calendrier qui rend donc improbable une dissolution à brève échéance, ce qui obligera les nouveaux gouvernants à de nécessaires compromis au moins jusqu’en mars 2025.

À cet égard, la récente campagne présidentielle a en partie rebattu les cartes des alliances comme celles des oppositions frontales. Après avoir œuvré en tandem pour retarder sine die la date du premier tour de l’élection, au point de provoquer une crise politique aiguë, la coalition Benno Bokk Yakaar (Bby), d’un côté – constituée autour du parti de Macky Sall, l’Alliance pour la République (Apr), et le Pds de Karim Wade, de l’autre, ont enterré la hache de guerre avec le candidat de Pastef à la veille du scrutin.

Par la voix de son secrétaire général national, l’ancien président Abdoulaye Wade, le Pds a même appelé ses quelque 450 000 électeurs à assurer la victoire de Bassirou Diomaye Faye. Et c’est dans une ambiance étonnamment apaisée, quelques jours plus tard, que Macky Sall a passé le relais à son jeune successeur, en présence d’Ousmane Sonko, l’opposant irréductible qui avait pourtant été sa bête noire au cours de ces trois dernières années.

Le Pastef au pied du mur

Soulignant « l’attitude républicaine » des députés socialistes au lendemain de la victoire d’Abdoulaye Wade, en 2000, un observateur de la vie politique blanchi sous le harnais rappelle que ceux-ci s’étaient abstenus de pratiquer toute forme d’obstruction durant l’année où l’ancien opposant avait composé avec une majorité parlementaire théoriquement hostile avant de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des législatives avant le terme de la législature, en avril 2001, soit treize mois après sa victoire.

Est-ce en référence à cet épisode que Bassirou Diomaye Faye a récemment fait savoir qu’il jugerait sur pièces avant d’envisager une dissolution de l’Assemblée nationale, espérant une attitude semblable des députés aujourd’hui en fonction ?

En 2012, Macky Sall, quant à lui, n’avait pas eu à se poser la question de la stratégie à adopter puisque le mandat des députés expirait quatre mois après sa propre victoire à la présidentielle.

En attendant une éventuelle dissolution, Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre pourront toujours gouverner provisoirement par décrets sur les sujets échappant au domaine de la loi. Ils ont aussi la possibilité de le faire par ordonnances si toutefois l’Assemblée nationale adopte une loi d’habilitation leur permettant, pendant une durée fixée par avance, de prendre des mesures qui ressortissent habituellement du domaine législatif.

Dans ce cas, un projet de loi de ratification devrait tout de même être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant l’échéance fixée par la loi d’habilitation. Autant de scénarios susceptibles de pallier le déséquilibre institutionnel actuel, qui se résume à ce constat : les vainqueurs de la présidentielle sont provisoirement confrontés à une cohabitation dont la durée demeure inconnue.

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 Car pour l’heure, selon un cadre Patriote, « en interne, aucun calendrier prévoyant des élections législatives anticipées n’a encore été mis sur la table ».

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